Il 18 ottobre 2007 la Corte europea dei Diritti dell’Uomo ha esaminato nel merito la causa Tătar e Tătar c. Romania (ricorso n° 67021/01).
L’oggetto della causa riguarda l’impatto ambientale di alcuni processi tecnologici di sfruttamento di una miniera d’oro a Baia Mare, in Romania.
Il 30 gennaio 2000, in tale miniera, si verificava un incidente. Una falla aveva liberato nell’ambiente circostante circa 100.000 m3 di acque di trattamento contenenti cianuri liberi e composti di cianuro. In seguito l’attività estrattiva proseguiva.
Secondo il ricorrente, che agisce personalmente e in nome del proprio figlio minore, l’incidente avrebbe causato danni alla salute del figlio, sofferente di asma bronchiale. Inoltre l’inquinamento avrebbe procurato un aumento costante del numero di malati di cancro nella città di Baia Mare.
Nonostante i ricorsi e le denunce presentate dal ricorrente per ottenere l’annullamento della licenza di sfruttamento ovvero l’accertamento delle responsabilità civili e penali della società responsabile, l’autorità rumena è sempre rimasta inerte. Ad esempio, nel 2003 il Ministero dell’ambiente inviava al ricorrente una lettera in cui affermava che l’attività estrattiva non era pericolosa per la salute pubblica. Oppure il fatto che le procedure penali promosse dal ricorrente non abbiano avuto alcun seguito e siano state archiviate.
Invocando l’articolo 2 (diritto alla vita) della Convenzione i ricorrenti si lamentano che il processo tecnologico utilizzato rappresenti un pericolo per la loro vita. Denunciano anche la condotta omissiva delle autorità di fronte a questa situazione, nonostante le denunce presentate.
La Corte ha ritenuto, nella decisione di ricevibilità del 5 luglio 2007, che le allegazioni dei ricorrenti dovessero essere esaminate sotto il profilo dell’articolo 8 (diritto al rispetto della vita privata e familiare).
segnalazione a cura dell'Avv. Antonella MASCIA

Decisione di ricevibilità (in lingua francese):


TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 67021/01
présentée par Vasile Gheorghe TATAR et Paul TATAR
contre la Roumanie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 5 juillet 2007 en une chambre composée de :

          Mme   E. Fura-Sandström, présidente,
          M.     C. Bîrsan,
          Mme   A. Gyulumyan,
          MM.  E. Myjer,
                   David Thór Björgvinsson,
          Mmes  I. Ziemele,
                   I. Berro-Lefèvre, juges,
et de M. S. Quesada, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 17 juillet 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Les requérants, MM. Vasile Gheorghe Tatar et Paul Tatar, père et fils, sont des ressortissants roumains, nés respectivement en 1947 et 1979. Ils résident à Baia Mare. Ils sont représentés devant la Cour par Me A. Szabo, avocat à Odorheiul Secuiesc. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme B. Ramaşcanu puis par Mme R. Paşoi, co-agent, du ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  La société exploitant la mine d’or de Baia Mare

3.  S.C. « Aurul » S.A. Baia Mare est une société ayant son siège social au nord-ouest de la Roumanie et gérée par une société australienne, Esmeralda Exploration Limited et par une société anonyme roumaine, REMIN créée en 1992. S.C. « Aurul » S.A. a installé, à proximité de la ville de Baia Mare, sur une superficie de 80 hectares, une exploitation d’extraction d’or.

4.  En 1998, la société S.C. « Aurul » S.A. obtint la licence d’exploitation de la mine d’or. Le 1er juin 1999, la licence fut approuvée par une décision du Gouvernement.

5.  Le 18 décembre 2001, l’agence nationale pour les ressources minérales (« Agenţia nationalã pentru resurse minerale ») rédigea un acte additionnel à la licence initiale modifiant le nom du titulaire de la licence de concession qui était désormais S.C. Transgold S.A.

6.  Conformément à l’article 16 de la licence d’exploitation, le titulaire était tenu de protéger l’environnement par une série de mesures telles que l’utilisation d’une technologie qui ne pollue pas l’eau, l’épuration des eaux usées, l’utilisation d’un processus d’extraction des métaux ne générant pas de nuisances ou d’acide cyanhydrique, etc.

7.  Trois autorisations de fonctionnement ont été délivrées par le ministère de l’Environnement (« autorizaţia de mediu ») : i)  les deux premières datent du 8 août 2002. Une première autorisation du 8 août 2002 concernait l’étang de décantation « Aurul ». Elle autorisait également un dépôt de substances chimiques (« depozitul de sterile ») et l’exploitation de l’étang et des constructions afférentes. La deuxième concernait l’usine d’extraction des métaux précieux (« Uzina de extragere a metalelor preţioase ») chargée de l’extradition et de la préparation des minerais non ferreux (excluant les minerais radioactifs). Une troisième autorisation, délivrée le 12 août 2002, concernait le transport des minerais entre l’usine et l’étang de décantation « Aurul ».

2.  L’accident écologique du 30 janvier 2000 concernant la fuite d’eau cyanurée, tel que décrit dans un rapport d’étude de Nations Unies (UNEP/OCHA - Programme des Nations Unies pour l’environnement / Bureau de la coordination des affaires humanitaires)

La partie pertinente du rapport se lit comme suit :

« (...)

Accident : Le 30 janvier 2000, une brèche de 2,5 m de haut et 25 m de long s’est creusée, libérant environ 100.000 m3 d’eaux de traitement contenant des cyanures libres et des composés de cyanure. La teneur en cyanure total de ces eaux industrielles est d’environ 400 mg/l, dont 120 mg/l de cyanures libres. La quantité de cyanures libérés est estimée entre 50 et 100 tonnes ; il faut y ajouter la libération de métaux lourds, en particulier le cuivre. Les rivières successivement touchées sont les rivières Sasar, Lăpuş, Someş, Tisza, Danube.

La brèche apparue dans le bassin de rétention des eaux est probablement due à deux causes : 1. Dans les mines, les digues de stériles, dites "plages", sont en construction continue, la sécurité du bassin est principalement due à un bon équilibre entre la hauteur des digues et le niveau d’eau décantée au milieu du bassin. Les basses températures du mois de janvier 2000 (0 à -10o) ont rendu les opérations de cyclonage difficiles (gel des sous verses). Par conséquent, la société Aurul SA a préféré rejeter directement les stériles dans le bassin, sans augmenter la hauteur des parements, au lieu d’arrêter l’unité de production. (...) »

3.  L’impact sur la santé du deuxième requérant et sur l’environnement

a)  Thèse des requérants

8.  D’après le premier requérant, cette société utilise, lors du processus technologique d’extraction, du cyanure de sodium, substance qui n’est plus utilisée par des sociétés similaires, en Europe, en raison du danger qu’elle représente pour la santé humaine. Il affirme que, depuis le mois de juin 1999, S.C. « Aurul » Baia Mare S.A., devenue S.C. Transgold S.A. Baia Mare, engendre une pollution excessive et dangereuse dans la ville de Baia Mare. Il fait valoir que le stockage et l’usage de cyanure de sodium lors du processus technologique représentent un risque réel pour la vie humaine. D’après lui, ce processus technologique a entraîné, chaque année, une augmentation du nombre de malades du cancer (de 1‑2 hospitalisations par jour en 1999 à 25-30 en 2000). Or, ce sont des personnes habitant à proximité du lieu d’exploitation de la mine d’or.

9.  Par lettre du 10 décembre 2001, le premier requérant informa la Cour de ce que le deuxième requérant, Paul Tatar, son fils, était atteint d’asthme bronchique, en raison de la pollution générée par la société. Il a fourni des copies de certificats médicaux attestant de la maladie.

b)  Thèse du Gouvernement

10.  Selon une lettre de l’Institut pour la santé publique de Bucarest («Institutul pentru sãnatãte publicã Bucureşti »), du ministère de la Santé, versée au dossier par le Gouvernement, le cyanure de sodium serait utilisé dans un autre endroit que celui de l’extraction de l’or. Par conséquent, aucun lien de causalité ne saurait être retenu entre l’état de santé du deuxième requérant et le cyanure de sodium utilisé lors du processus technologique. Les conclusions du médecin en chef de l’Institut se lisent comme suit :

« -  il n’y a aucune preuve de l’existence d’un effet nocif de l’exposition de la population au cyanure de sodium ou de l’augmentation des cancers ;

-  le fait que les requérants habitent à proximité de l’exploitation de la mine d’or n’a aucun rapport avec l’exposition au cyanure de sodium (...) ;

-  du point de vue médical, les affirmations des requérants sont sans fondement ;

-  si on admettait la pertinence des affirmations des requérants, on devrait reformuler en totalité l’approche de la question de l’exposition de la population au cyanure de sodium s’agissant de l’industrie minière et des autres industries. »

11.  Le 6 août 2004, le ministère de l’Environnement informa le Gouvernement que l’utilisation du cyanure de sodium dans l’extraction de l’or ou de l’argent n’avait pas été interdite par la législation de l’Union européenne, et que des États membres comme l’Espagne et l’Italie recouraient à cette substance. Il précisa en outre que des études d’impact environnemental autres que celle de 1993 avaient été réalisées afin de permettre en 2000 et en 2001 la délivrance des licences d’exploitation.

12.  Le 17 août 2004, la direction départementale pour la santé publique de Maramureş (« Directia de sãnatãte publicã Maramureş ») informa le Gouvernement que la société Transgold S.A. détenait une autorisation pour l’utilisation de substances toxiques (no 13522/533/2001). C.P, médecin en chef de la direction départementale se référait à une étude d’impact environnemental, réalisée en 2001, qui excluait tout rapport de causalité entre les activités de la société et les maladies dont souffraient les habitants de la ville de Baia Mare. Toujours selon lui, le taux d’évolution des cas de cancer dans la région ne dépassait pas le taux au niveau national.

4.  Rapports d’impact environnemental

13.  Un rapport d’impact environnemental réalisé en 1993 par l’Institut de recherche du ministère de l’Environnement décrit le processus d’utilisation du cyanure de sodium. Le rapport décrit, entre autres, la façon dont le processus technologique devrait se dérouler :

« L’hydroxyde et le cyanure de sodium seront préparés dans des récipients spéciaux, par dosage manuel des quantités nécessaires et mélange des substances avec de l’eau industrielle. (...) Le cyanure de sodium sera livré dans des tonneaux métalliques de 50 litres, qui seront ensuite déposés dans un endroit spécial destiné à abriter les substances réactives. Les tonneaux seront transportés à l’aide d’un chariot élévateur jusqu’à la partie supérieure des récipients spéciaux. (...) Les tonneaux seront ouverts dans une installation spéciale ; après avoir été vidés, ils seront lavés. (...) Le cyanure de sodium sera transféré dans les dépôts CIL au moyen d’un réseau en circuit fermé (...). »

14.  D’après ce même rapport, il y aurait des incertitudes quant à l’impact de l’utilisation de cette technologie sur l’environnement :

« 1.  En Roumanie, on n’a pas encore utilisé la méthode proposée (...). Par conséquent, il est difficile d’apprécier avec certitude l’ampleur des nuisances générées ; on soupçonne que ces nuisances peuvent consister en aérosols, poussière, bruits et vibrations. On doit aussi apprécier le degré de dispersion d’aérosols, savoir si ce degré dépassera ou non les limites de la zone d’exploitation ; cette donnée est importante car les aérosols contenant du cyanure de sodium peuvent générer des malaises au niveau de l’appareil respiratoire s’ils se dirigent vers les zones habitées.

2.  On ne peut pas apprécier la concentration de cyanure de sodium dans la solution qui sera décantée dans le nouvel étang Bozinţa. Sur la base d’autres expériences, la société australienne a indiqué comme valeur moyenne 200 mg CN/1.

3.  La possibilité de réduction de 50 % du contenu en cyanure de sodium (à 100 mg/CN/1) durant le transfert de la solution vers l’étang au contact des facteurs environnementaux tels que rayons du spectre visible ou invisible, oxygène, etc., est incertaine, compte tenu des conditions climatiques de la Roumanie. D’après la littérature spécialisée consultée et l’expérience de ceux qui exploitent actuellement l’étang de Bozinţa, il n’y a, par voie naturelle, aucun processus significatif de réduction du taux de cyanure de sodium.

4.  On ne peut pas apprécier l’impact de l’eau contenant un taux de cyanure de sodium de 100 mg CN/1 sur les oiseaux migrateurs (hirondelles de mer et canards sauvages). Il est possible que l’on assiste à une mortalité en masse (...).

5.  En ce qui concerne la solution proposée pour l’isolation du fond de l’étang, à savoir l’interruption de l’intégralité de l’isolation sur certains points (conformément aux détails prévus par l’étude de faisabilité) et sa soudure sur les tuyaux de drainage, cette solution n’a jamais été connue des spécialistes de l’institut au niveau national et, par conséquent, il est difficile d’exprimer un point de vue (...). »

15.  Les conclusions auxquelles les spécialistes de l’institut sont arrivés se basent sur les nombreux avantages économiques et sociaux et sur le fait que, dans le département de Baia Mare - région déjà exposée à d’autres activités comme l’industrie minière et l’usinage des minerais non ferreux, grande agglomération routière, densité de population élevée, agriculture - l’activité en question ne saurait influencer d’une « manière significative les caractéristiques actuelles de la région ».

16.  Le Gouvernement invoque, sans le verser au dossier, un autre rapport d’impact environnemental effectué en 2001 et qui prouverait qu’il n’y a aucun lien de causalité entre le cyanure de sodium découvert dans le sol et les maladies de l’appareil respiratoire tels que bronchite, asthme et pneumonie. En ce qui concerne le niveau de pollution de l’air, aucune dégradation de la qualité de l’air due au cyanure de sodium n’aurait été constatée. Quant au nombre de cancers dans la région, on n’aurait pas enregistré d’augmentation significative. Selon les données du ministère de l’Environnement, il était de 269,9 cas/100.000 habitants en 2003 et de 218,69 cas/100.000 habitants en 2000. Le nombre de malades d’asthme en 2000 était de 142,2 et de 92,47 seulement en 2003.

5.  Démarches administratives

17.  Le premier requérant déposa plusieurs plaintes devant différentes autorités, ministère de l’Environnement, mairie de Baia Mare, délégation de la Commission Européenne en Roumanie, premier ministre de la Roumanie, président de la Roumanie, préfet de Maramureş, afin d’obtenir l’annulation de la licence d’exploitation de la société en cause et de faire sanctionner les responsables.

18.  Dans ses plaintes, le premier requérant demandait également l’arrêt des activités de la société car, selon lui, elles représentaient un risque réel pour la vie humaine, ainsi qu’une enquête pour savoir si la société détenait une licence d’exploitation valable.

19.  Le 1er avril 2002, les représentants du ministère de l’Environnement lui répondirent que la société fonctionnait en vertu d’une licence d’exploitation légale.

20.  Le 29 avril 2002, à la suite d’une plainte du premier requérant concernant l’absence de licence d’exploitation, la mairie de Baia Mare adressa une lettre à la société pour l’inviter à faire les démarches nécessaires à son obtention.

21.  Par lettre du 5 mars 2002, le Conseil départemental de Maramureş informa le premier requérant que la nouvelle société, S.C. Transgold S.A. n’avait pas encore obtenu de licence d’exploitation.

22.  Le 26 septembre 2003, la Commission pour l’environnement (« Garda de mediu ») informa le requérant que le processus technologique de la société avait beaucoup évolué et que, s’agissant de la protection de l’environnement, l’exploitation s’effectuait en toute sécurité.

23.  Par lettre du 27 novembre 2003, le ministère de l’environnement informa le premier requérant que les activités de la société Transgold S.A. Baia Mare ne représentaient pas de danger pour la santé publique et que sa technologie était également utilisée dans d’autres pays.

6.  Démarches de nature pénale

a)  Version des requérants

24.  Le premier requérant déposa plusieurs plaintes pénales contre les membres de la direction de l’usine auprès du parquet près le tribunal de première instance de Maramureş, du parquet auprès du tribunal départemental de Maramureş, du parquet général, de la Cour suprême de justice et du ministère de la justice.

25.  Il alléguait à la fois le danger que l’utilisation de cette technologie représentait pour la santé des habitants de la ville de Baia Mare, les risques pour l’environnement, ainsi que l’aggravation de l’état de santé de son fils.

26.  Le 5 décembre 2000, le parquet près la Cour suprême de justice informa le premier requérant que sa plainte avait été renvoyée au parquet près le tribunal départemental de Maramureş pour y être instruite.

27.  Par lettre du 20 décembre 2000, le parquet près le tribunal départemental, après avoir sollicité des informations auprès du ministère de l’Environnement, envoya copie de la réponse obtenue au premier requérant. D’après les informations soumises le 18 décembre 2000 par le Ministère de l’Environnement il n’y avait aucun risque de pollution en raison du procédé technologique utilisé par la société.

28.  Le 9 février 2001, le ministère de la Justice informa le premier requérant que sa plainte avait été renvoyée devant le parquet près la Cour suprême de justice pour y être instruite.

29.  Par ordonnance du 20 novembre 2001, le parquet auprès du tribunal départemental de Maramureş rendit un non-lieu en ce qui concernait l’accident du 30 janvier 2000, au motif que les faits dont le premier requérant se plaignait ne constituaient pas des infractions.

30.  Les 22 février, 11 mars et 28 mars 2002, la Cour suprême de justice rejeta la plainte du premier requérant, au motif qu’elle n’était pas compétente en la matière.

31.  Par deux ordonnances des 6 et 8 mars 2002, le parquet près la Cour suprême de justice renvoya la plainte du premier requérant devant le parquet près la Cour d’appel de Cluj pour y être instruites.

b)  Version du Gouvernement

32.  Le 1er décembre 2000, le premier requérant déposa une plainte pénale contre des employés de la société « Aurul » Baia Mare pour fraude fiscale et infraction à la loi sur la comptabilité.

33.  Le 20 novembre 2001, D.A, procureur au parquet près le tribunal départemental de Maramureş, invoquant l’art. 11 § 1 (a) du Code de procédure pénale, prononça un non-lieu. Se fondant sur l’article 10 (a) du Code de procédure pénale, il estima que les faits exposés par le premier requérant ne constituaient pas des infractions. Le Gouvernement a versé au dossier copie de cette ordonnance.

34.  Le premier requérant déposa auprès du parquet près la cour d’appel de Cluj une autre plainte pénale visant l’accident du 30 janvier 2000, cette fois-ci à l’encontre de la direction de la société S.C. « Aurul » S.A..

35.  Par ordonnance du 29 mars 2001, le procureur A.C. rejeta la plainte du premier requérant pour les motifs suivants :

« (...) Après examen des allégations de M. Tatar Vasile, on a constaté qu’il existe un dossier d’enquête pénale, inscrit au rôle du parquet près le tribunal départemental de Maramureş, ayant comme objet la vérification des conditions dans lesquelles le bassin de rétention d’eau, appartenant à la société S.C. « Aurul » Baia Mare, avait cédé.

Dans le cadre des poursuites en cours pour pollution accidentelle, infraction prévue à l’art. 84, 1er alinéa, lettre c, de la loi no 137/1995 sur la protection de l’environnement, une expertise sera effectuée afin d’établir les causes qui sont à l’origine de la rupture du bassin.

Compte tenu de ce qu’une enquête pénale est pendante, la plainte du requérant est rejetée. »

36.  L’enquête concernant la pollution accidentelle débuta le 1er février 2000 avec la saisie d’office, par la police de Maramureş, pour pollution accidentelle. Par ordonnance du 3 décembre 2001, D.B., procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Maramureş rendit un non-lieu. Le représentant du parquet, après avoir établi la faute de la société ayant réalisé le projet du bassin de rétention d’eau au motif qu’elle n’avait pas pris en considération les conditions climatiques défavorables et n’avait pas inclus un système d’évacuation d’urgence des eaux, estima que cette faute n’avait pas été déterminante dans la survenance de l’accident, car, compte tenu des conditions météo exceptionnelles il y avait, en l’espèce, un cas de force majeure.

37.  Par ordonnance du 25 juillet 2002, le parquet près la Cour suprême de justice infirma le non-lieu du 3 décembre 2001 et ordonna au parquet près la cour d’appel de Cluj de réexaminer la plainte pénale initiale.

38.  Le 12 décembre 2002, M.N., procureur au parquet près la cour d’appel de Cluj, ordonna un non-lieu en ce qui concernait M.N.N. (dirigeant de ladite société). Le procureur estima qu’en l’espèce, il s’agissait d’un cas de force majeure, car les conditions météo défavorables (augmentation brusque de la température suivie d’une forte pluie) étaient les éléments déterminants de l’accident.

39.  Il ressort des éléments du dossier que le 29 janvier 2003, le procureur en chef du parquet près la Cour suprême de justice infirma l’ordonnance du 12 décembre 2002 et ordonna au parquet près la cour d’appel de Cluj la reprise des poursuites.

40.  Saisi à nouveau de l’affaire, le 22 mai 2003, C.M. procureur au parquet près la cour d’appel de Cluj, après avoir effectué des nouvelles recherches, ordonna un non-lieu pour les mêmes motifs.

7.  Informations publiques relatives aux risques que le cyanure représente pour la santé humaine et l’environnement ainsi que sur la fuite d’eau cyanurée qui a eu lieu le 30 janvier 2000 en Roumanie

a)  Selon la Fiche Internationale de Sécurité Chimique publiée par l’ICSC (no 1118/1999) :

« La substance se décompose en brûlant, produisant des fumées toxiques (des oxydes d’azote). La substance est une base forte, qui réagit violemment avec les acides et qui est corrosive pour les métaux (l’aluminium et le zinc). Réagit violemment avec les oxydants forts tels que les nitrates et les chlorates en provoquant des risques d’incendie et d’explosion. La substance se décompose en présence d’air, d’humidité et de dioxyde de carbone produisant un gaz très toxique et inflammable (le cyanure d’hydrogène). Le contact avec les acides et les sels acides provoque la formation immédiate d’un gaz très toxique et inflammable, le cyanure d’hydrogène. La substance peut être absorbée par l’organisme par inhalation, à travers la peau et les yeux, et par ingestion. La substance peut être dangereuse pour l’environnement; une attention particulière doit être accordée aux poissons. Il est fortement recommandé de ne pas laisser ce produit contaminer l’environnement en raison de sa persistance dans l’environnement. »

b)  Extraits du Rapport2 d’étude des Nations Unies (UNEP/OCHA) sur la fuite d’eau cyanurée en Roumanie qui a eu lieu le 30 janvier 2000 :

« La catastrophe de la mine d’Aurul en Roumanie a fait couler beaucoup d’encre dans les journaux. Afin de rester objectifs, nous tenons à apporter quelques précisions sur cet événement dans le souci de servir l’environnement.

Résumé du rapport (non exhaustif) :

(...)

La récupération des métaux concerne l’or et l’argent. La production prévue est de 1,6 tonne d’or et 9 tonnes d’argent par an à partir de 2,5 millions de tonnes annuels de résidus miniers. La durée de vie de la société est prévue entre 10 et 12 ans. Les résidus de l’exploitation (après extraction de l’or et de l’argent) sont déposés sur un nouveau bassin, construit par la technique du cyclonage.

La superficie est de 93 ha et l’étanchéité est assurée par une membrane plastique au fond du bassin et par un système de drainage ; ainsi toute fuite peut être récupérée par le drainage et la membrane permet qu’aucune interaction ne soit possible avec les nappes d’eau souterraines.

(...)

2.  De mauvaises conditions climatiques. De décembre 1999 à janvier 2000, il y a eu 26 mm de pluie, puis 120 mm de neige et de nouveau 40 mm de pluie sur la couverture neigeuse. La fonte des neiges et les pluies supplémentaires ont entraîné une montée incontrôlée du niveau d’eau dans le bassin qui a débordé.

Au départ, la conception du bassin prévoyait des conditions de stockage suffisamment sûres pour un événement pluvieux extrême jusqu’à 118 mm d’eau, soit moins de précipitations que celles enregistrées en décembre 1999/janvier 2000. Aucun plan pour ces situations de montée du niveau d’eau dans le bassin n’a été prévu. Le gouvernement roumain avait toutefois classé l’exploitation comme « à risque ordinaire » car l’exploitation était destinée a fonctionner en circuit fermé pour les eaux cyanurées et ne prévoyait pas de rejets dans l’environnement.

Or, si l’on prend en considération des valeurs connues de précipitations et d’évaporation locale, on s’aperçoit que le déséquilibre entre précipitations et évaporation excède en moyenne 300 mm par an. La répartition de l’évaporation sur l’année est très variable et elle est nulle à la froide saison. D’autre part, la forte concentration en cyanure des eaux du bassin est volontairement maintenue afin de récupérer les cyanures libres pour la production.

La fuite des eaux cyanurées a été stoppée le 2 février 2000. Entre le 31 janvier et le 2 février, la fuite a été réduite à un débit de 50 l/s et traitée à l’hypochlorite de sodium (eau de Javel), réactif qui permet d’éliminer les éléments cyanurés.

La compagnie Aurul SA a utilisé la bonne méthode pour intervenir d’urgence. Le système d’alerte établi suffisamment tôt en vertu de la convention sur la protection du Danube, a permis d’avertir normalement les pays voisins.

Analyses. Eaux de surface. La teneur en cyanures provenant de la pollution a été réduite de 19,4 mg/l au site d’Aurul à 7,8 mg/l à Statu Mare, 10 km en aval. Par contre, à Csenger, sur le côté hongrois, la teneur en cyanures atteint 32,6 mg/l. La seule explication possible quant à la différence des résultats des mesures fournis par la Roumanie et par la Hongrie, est la suivante :

La situation des prélèvements et la présence de glace sur la rivière allongeant les intervalles de temps entre chaque prise d’échantillons. Ainsi, les prélèvements roumains n’auraient pas pris en compte le pic de concentration en cyanures. Dans le bassin d’Aurul, les concentrations de cyanures libres sont très hautes, entre 66 et 81 mg/l, de même pour le cuivre : 412,3 mg/l, le fer : 31,3 mg/l, le manganèse : 18 mg/l et le zinc : 14,5 mg/l. Dans la rivière Lăpuş, après la confluence avec la rivière Sasar, la concentration en cyanures est de 0,88 mg/l (26 et 27/02/00) ; la rivière Someş, après sa confluence avec la rivière Lăpuş, a une concentration de 0,035 mg/l de cyanures libres. Ces résultats indiquent qu’il existe bien une transmission de la pollution en cyanures entre les différentes rivières, mais que les cyanures se détruisent biologiquement et ont été dilués par les débits des rivières. Selon la norme standard roumaine, le seuil de concentration de cyanure total est de 0,01 mg/l pour les eaux de surface. La diminution des teneurs en métaux lourds (cuivre, plomb, zinc) apparaît également le long des rivières.

Pour les trois métaux lourds cuivre, plomb, zinc, les contaminations dans les sédiments augmentent dramatiquement en aval du bassin d’Aurul : c’est un indicateur évident du dépôt de la pollution d’Aurul dans les sédiments de la rivière Lăpuş. Mais, on observe aussi de fortes concentrations de ces éléments dans des sédiments de rivières non touchées par la catastrophe d’Aurul : cela indique qu’il existe depuis longtemps d’autres sources de pollutions industrielles et des émissions diffuses, probablement de l’agriculture et de déchets domestiques, se dirigeant vers les rivières Lapus - Tisza - Danube, depuis longtemps.

Les autorités hongroises estiment que la quantité totale de poissons tués est de plus de 1.000 tonnes alors que les autorités roumaines annoncent des chiffres très faibles à cet égard.

Eaux de consommation « ... »

Les puits proches de Bozanţa Mare Village en Roumanie n’étaient déjà pas autorisés avant la fuite. 0,785 mg/l de cyanures sont mesurés, et d’autre part, de fortes concentrations de nitrate, ammoniaque et ortho-phosphate indiquent l’impact de l’activité humaine sur les eaux souterraines.

En Hongrie, les systèmes d’approvisionnement en eau et les puits n’ont pas été touchés par la pollution (pas de connexion hydraulique entre la Tisza et les eaux souterraines) ; en Yougoslavie aussi, les risques pour la santé humaine de cette fuite d’Aurul semblent minimes mais la pollution à long terme par les métaux lourds peut avoir des effets chroniques sur la santé. La fuite d’Aurul a eu lieu dans une région déjà contaminée par les métaux lourds, à cause d’un passé minier et métallurgique très ancien. »

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

41.  Loi no 137 pour la protection de l’environnement, du 29 décembre 1995, publiée au Journal Officiel (« Monitorul Oficial »), première partie, no 70, du 17 février 2000. Les dispositions pertinentes de la loi no 137, telles que rédigées à l’époque des faits, se lisaient ainsi :

Article 5

« L’État reconnaît à toute personne le droit à un environnement sain et garantit :

a)  l’accès aux informations concernant la qualité de l’environnement ;

b)  le droit de s’associer dans des organisations pour la défense de l’environnement ; (...)

d)  le droit de s’adresser, directement ou par l’intermédiaire des associations, aux autorités administratives ou judiciaires dans un but de prévention, ou en cas de préjudice direct ou indirect ;

e)  le droit à un dédommagement pour le préjudice subi. »

Article 6

« La protection de l’environnement est un devoir pour les autorités de l’administration centrale ainsi que pour toute personne physique et morale. »

Article 7

« La responsabilité pour la protection de l’environnement incombe à l’autorité centrale pour la protection de l’environnement et à ses agences territoriales. »

« ... »

Article 81

« La responsabilité pour faute a un caractère objectif (....). En cas de pluralité d’auteurs, il y a une responsabilité collective (...) »

Article 86

« Le constat d’une infraction et les poursuites seront effectués d’office par l’autorité compétente. »

42.  L’ordonnance du gouvernement no 195/2005 sur la protection de l’environnement a été approuvée par la loi no 265/2006. Publiée au Journal Officiel (« Monitorul Oficial »), première partie, no 586 du 6 juillet 2006, elle abroge la loi no 137 pour la protection de l’environnement, du 29 décembre 1995. Cette nouvelle loi réaffirme les principes de base pour la protection de l’environnement, redéfinit certains termes spécifiques ainsi que le régime de certaines substances, renforce la protection des eaux et du sol et augmente la responsabilité des autorités centrales et locales et celle des personnes physiques et morales.

43.  La Convention internationale du 25 juin 1998 (Aarhus, Danemark) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, a été ratifiée par la Roumanie par la loi no 86/2000 et publiée dans le Journal Officiel, première partie, no 224 du 22 mai 2000. Les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

Article 3

« 1.  Chaque Partie prend les mesures législatives, réglementaires ou autres nécessaires, y compris des mesures visant à assurer la compatibilité des dispositions donnant effet aux dispositions de la présente Convention relatives à l’information, à la participation du public et à l’accès à la justice, ainsi que des mesures d’exécution appropriées, dans le but de mettre en place et de maintenir un cadre précis, transparent et cohérent aux fins de l’application des dispositions de la présente Convention. »

« 2.  Chaque Partie tâche de faire en sorte que les fonctionnaires et les autorités aident le public et lui donnent des conseils pour lui permettre d’avoir accès à l’information, de participer plus facilement au processus décisionnel et de saisir la justice en matière d’environnement. » (...)

« 7.  Chaque Partie œuvre en faveur de l’application des principes énoncés dans la présente Convention dans les processus décisionnels internationaux touchant l’environnement ainsi que dans le cadre des organisations internationales lorsqu’il y est question d’environnement » (...)

« 9.  Dans les limites du champ d’application des dispositions pertinentes de la présente Convention, le public a accès à l’information, il a la possibilité de participer au processus décisionnel et a accès à la justice en matière d’environnement sans discrimination fondée sur la citoyenneté, la nationalité ou le domicile et, dans le cas d’une personne morale, sans discrimination concernant le lieu où elle a son siège officiel ou un véritable centre d’activités. »

Article 4

« 1.  Chaque Partie fait en sorte que, sous réserve des paragraphes suivants du présent article, les autorités publiques mettent à la disposition du public, dans le cadre de leur législation nationale, les informations sur l’environnement qui leur sont demandées, y compris, si la demande leur en est faite et sous réserve de l’alinéa b) ci-après, des copies des documents dans lesquels ces informations se trouvent effectivement consignées, que ces documents renferment ou non d’autres informations :

a)  Sans que le public ait à faire valoir un intérêt particulier ;

b)  Sous la forme demandée à moins :

i)  Qu’il soit raisonnable pour l’autorité publique de communiquer les informations en question sous une autre forme, auquel cas les raisons de ce choix devront être indiquées ; ou

ii)  Que les informations en question aient déjà été rendues publiques sous une autre forme.

2.  Les informations sur l’environnement visées au paragraphe 1 ci-dessus sont mises à la disposition du public aussitôt que possible et au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle la demande a été soumise, à moins que le volume et la complexité des éléments d’information demandés ne justifient une prorogation de ce délai, qui pourra être porté au maximum à deux mois. L’auteur de la demande est informé de toute prorogation du délai et des motifs qui la justifient (...). »

Article 9

« 1.  Chaque Partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que toute personne qui estime que la demande d’informations qu’elle a présentée en application de l’article 4 a été ignorée, rejetée abusivement, en totalité ou en partie, ou insuffisamment prise en compte ou qu’elle n’a pas été traitée conformément aux dispositions de cet article, ait la possibilité de former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi.

Dans les cas où une Partie prévoit un tel recours devant une instance judiciaire, elle veille à ce que la personne concernée ait également accès à une procédure rapide établie par la loi qui soit gratuite ou peu onéreuse, en vue du réexamen de la demande par une autorité publique ou de son examen par un organe indépendant et impartial autre qu’une instance judiciaire.

Les décisions finales prises au titre du présent paragraphe 1 s’imposent à l’autorité publique qui détient les informations. Les motifs qui les justifient sont indiqués par écrit, tout au moins lorsque l’accès à l’information est refusé au titre du présent paragraphe. »

C.  Le droit européen

44.  La résolution no 1430/2005 de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe sur les risques industriels, dans sa partie pertinente, se lit comme suit :

« 1.  Certaines installations industrielles présentent, par la nature de leur activité et des substances utilisées, des risques d’autant plus importants qu’elles se trouvent à proximité de zones habitées, car celles-ci et leurs habitants sont particulièrement exposés en cas d’accident.

2.  L’Assemblée parlementaire est d’avis que disposer d’une législation adéquate en matière d’implantation d’installations industrielles est une condition indispensable pour mener une politique efficace de prévention et de limitation des accidents majeurs. En 1976, l’accident chimique de Seveso (Italie) fut à l’origine de la première directive des Communautés européennes en la matière. Son champ d’application a été progressivement élargi. On peut rappeler à cet égard les accidents industriels à Baia Mare (Roumanie) en 2000, à Enschede (Pays-Bas) en 2000 ainsi qu’à Toulouse (France) en 2001. Encore plus récemment, la catastrophe de Ghislenghien (Belgique), survenue en juillet 2004, a accru la nécessité d’une législation appropriée qui soit appliquée rigoureusement.

(...)

8.  En conséquence, l’Assemblée invite instamment les États membres :

i.  à signer et/ou à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention no 174 de l’OIT sur la prévention des accidents industriels majeurs ;

ii.  à signer et/ou à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention CEE-Onu sur les effets transfrontières des accidents industriels ;

iii.  à élaborer ou à mettre à jour rapidement une législation nationale en matière de prévention et de limitation des accidents majeurs de certaines activités industrielles, conformément aux conventions internationales précitées et en s’inspirant de la Directive 96/82/CE de l’Union européenne ;

iv.  à améliorer la diffusion de l’information sur les bonnes pratiques de prévention et de limitation des accidents majeurs, déjà mises en œuvre par certains Etats membres ;

v.  à développer une politique de limitation des risques d’accidents majeurs liés à des activités qui ne relèvent pas de la réglementation internationale et européenne précitée, notamment, dans le cadre d’activités industrielles impliquant des substances dangereuses présentes dans des quantités inférieures aux seuils utilisés dans la réglementation ou en ce qui concerne le transport de substances dangereuses par canalisations ;

vi.  à définir clairement les compétences des différentes autorités concernées par la politique d’aménagement du territoire, en particulier en matière de prévention et de gestion des risques industriels ;

vii.  à développer des réglementations appropriées, notamment en ce qui concerne :

a.  l’autorisation de nouvelles implantations d’habitations près d’établissements industriels existants ;

b.  la délivrance des permis de bâtir pour des nouveaux établissements à risque ou pour des extensions importantes de ceux-ci, surtout quand des habitations se trouvent à proximité;

c.  le contrôle des activités industrielles dans les établissements à risque, en ce qui concerne l’organisation d’inspections régulières et approfondies ;

d.  l’interdiction d’exploitation si des manquements graves sont constatés ;

viii.  à intensifier les efforts pour résorber rapidement le retard considérable constaté dans l’élaboration et la mise à l’essai des plans d’urgence pour les établissements concernés ;

ix.  à inciter leurs collectivités territoriales à conclure des accords de coopération transfrontalière en matière de prévention des risques industriels et de collaboration en cas d’accident, en s’inspirant des modèles d’accord prévus par la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE no 106).

9.  L’Assemblée invite également :

i.  les États membres de l’Accord partiel ouvert du Conseil de l’Europe EUR-OPA Risques majeurs à développer les travaux et la coopération en ce qui concerne l’étude, la prévention et la gestion des risques industriels majeurs ;

ii.  la Conférence européenne des ministres responsables de l’aménagement du territoire (Cemat) à se pencher d’une manière approfondie sur le sujet de l’emplacement des établissements industriels à risque par rapport aux zones habitées et à faire des propositions visant à une harmonisation des politiques européennes d’aménagement du territoire en la matière.

10.  L’Assemblée invite en outre la Commission européenne et les États membres de l’Union européenne:

i.  à œuvrer pour la réalisation rapide de la banque de données techniques visée à l’article 19 de la Directive 96/82/CE ;

ii.  à mettre toutes les connaissances accumulées au niveau communautaire à la disposition des autres États membres du Conseil de l’Europe. »

45.  Communication de la Commission relative à la sécurité des activités minières: étude de suivi des récents accidents miniers (COM/2000/0664 final), en vertu de laquelle le Parlement Européen a adopté le 5 juillet 2001 une résolution (JO C 65 E du 14.3.2002, p. 382). La Communication de la Commission se lit comme suit dans sa partie pertinente :

« (...) La pollution du Danube provoquée à Baia Mare, en Roumanie, par une fuite de cyanure consécutive à la rupture d’une digue entourant un bassin de stériles, ajoutée à un accident qui s’est produit en 1998 à Aznalcóllar, en Espagne, où une rupture de digue s’est traduite par l’empoisonnement de l’environnement du parc national de Coto Doñana, ont sensibilisé davantage le public aux risques que font courir les activités minières à l’environnement et la sécurité.

L’accident de Baia Mare a révélé que le public connaissait et comprenait très mal les risques inhérents à l’exploitation minière et aux processus industriels qui y sont liés dans la région concernée. Il a également montré l’insuffisance de la communication entre les autorités des divers niveaux ainsi qu’entre les autorités, les organisations non gouvernementales (ONG) et le public en ce qui concerne les options et possibilités en matière de préparation aux situations d’urgence, de réaction aux urgences et de prévention des dommages.

Ces accidents ont également soulevé la question de l’efficacité des politiques communautaires de prévention de tels désastres, et attiré l’attention sur la nécessité d’examiner la politique environnementale dans ce domaine.

La Commission a déjà arrêté sa politique en vue de promouvoir le développement durable de l’industrie extractive non énergétique dans l’UE, qui englobe également l’extraction des minerais métalliques, dans sa communication du 3 mai 2000 [1]. La présente communication, qui doit être placée dans ce contexte, vise à présenter les accidents et à informer le Conseil et le Parlement européen d’une manière plus approfondie sur certaines des actions annoncées dans la communication précédente, en mettant l’accent sur la prévention des accidents dans le domaine de l’extraction des minerais métalliques. Elle vise également à permettre aux principales parties intéressées, notamment l’industrie, les ONG, les États membres et d’autres parties concernées, d’exposer leurs points de vue sur ces actions. La communication a été établie en consultation étroite avec la Task Force "Baia Mare" (voir chapitre 3.1.). Pour les informations techniques concernant l’accident de Baia Mare, la présente communication a largement utilisé le rapport du PNUE/OCHA [2].

(...)

5.  Situation actuelle de la législation communautaire relative à l’environnement

Une série d’instruments juridiques communautaires visent les aspects environnementaux des activités minières.

5.1.  Directive 85/337/CEE [4] du Conseil, telle qu’elle a été modifiée par la directive 97/11/CE du Conseil sur l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement [5], et convention d’Espoo de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe sur l’évaluation des effets environnementaux transfrontières [6]

[4] JO L 175 du 5.7.1985.

[5] JO L 73 du 14.3.1997.

[6] JO C 104 du 24.4.1992.

La Directive 97/11/CE du Conseil, surnommée la directive EIE (pour "évaluation de l’impact sur l’environnement"), telle qu’elle a été modifiée par la directive 97/11/CEE du Conseil, exige la réalisation d’une évaluation des effets environnementaux d’un grand nombre d’activités économiques, notamment les activités minières et l’exploitation de barrages, dans les cas où ces activités sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur l’environnement.

La directive EIE met l’accent sur une approche préventive puisqu’elle exige une évaluation des effets environnementaux probables des activités avant l’octroi du permis d’exploitation. Cette évaluation doit figurer dans un rapport environnemental dont l’autorité compétente accordant le permis doit tenir compte. Elle doit mentionner les mesures d’atténuation des effets envisagées. L’implication et la participation du public forment un aspect important lors de la procédure d’évaluation des effets, dans le cadre des règlements applicables. Les autorités compétentes doivent tenir le plus grand compte des observations présentées à cette occasion. Une telle approche participative garantit la transparence, l’implication précoce et l’information du public, et aide à identifier et atténuer les risques pour l’environnement.

La directive EIE assure aussi la mise en œuvre de la convention d’Espoo de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe sur l’évaluation des effets transfrontières. Signée en 1991, la convention d’Espoo est entrée en vigueur en 1997. Elle compte actuellement 30 parties contractantes, notamment la Commission européenne, et concerne entre autres les activités minières et les barrages. Si un projet donné est susceptible de produire des effets environnementaux transfrontières significatifs, les parties concernées doivent en être avisées, et toutes les informations relatives au projet ainsi que le rapport environnemental doivent être soumis au public susceptible d’être touché pour permettre à celui-ci de commenter le projet. Les résultats de cette consultation transfrontières doivent être pris en compte par l’autorité compétente de la partie responsable de l’octroi d’une autorisation au projet.

5.2.  Directive 76/464/CEE du Conseil concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté [7]

[7] JO L 129 du 18.5.1976, p. 23.

Cette directive vise la pollution causée par le déversement de substances dangereuses dans le milieu aquatique, mais pas la pollution accidentelle. Cinq directives "filles" ont réglementé une série de 18 substances, y compris le cadmium et le mercure, en fixant à l’échelon communautaire des valeurs d’émission limites et des normes de qualité à respecter pour le milieu aquatique. Les États membres sont tenus d’établir des programmes nationaux de réduction des émissions pour les polluants concernés, qui doivent être identifiés parmi une vaste gamme d’autres substances comprenant notamment les cyanures et les métaux lourds. Ces programmes doivent prévoir des objectifs de qualité de l’eau juridiquement contraignants ainsi que des échéances à respecter pour la mise en œuvre de certains objectifs de réduction des émissions. En ce qui concerne les activités minières, il existe un potentiel de pollution considérable résultant de certaines substances dangereuses pouvant causer des effets nuisibles sur le milieu aquatique. L’identification d’une telle pollution entraîne la nécessité d’une demande d’autorisation de déversement des polluants concernés. Cette directive permettrait ainsi d’exercer un contrôle efficace de la pollution de sources ponctuelles dans l’industrie minière.

5.3.  Directive 96/82/CE du Conseil, du 9 décembre 1996, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses (directive Seveso II) [8], et convention de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe sur les effets transfrontières des accidents industriels [9]

[8] JO L 10 du 14.1.1997, p. 13.

[9] JO L 326 du 3.12.1998, p. 1.

Cette directive vise à prévenir les accidents majeurs impliquant des substances dangereuses et à limiter leurs conséquences pour l’homme et pour l’environnement, afin d’assurer dans toute la Communauté des niveaux de protection élevés d’une façon cohérente et efficace.

La principale nouveauté de Seveso II consiste en l’introduction de l’obligation pour les exploitants industriels de mettre en œuvre des systèmes de gestion de la sécurité, notamment une évaluation détaillée des risques comportant les scénarios d’accident possibles. Cette évaluation joue un rôle essentiel dans la prévention des accidents majeurs.

Le champ d’application général de la directive Seveso II sont les usines chimiques et les aires de stockage où des substances dangereuses sont présentes dans des quantités dépassant certaines quantités seuils.

L’article 4, sous e), de la directive exclut du champ d’application les activités des industries extractives concernées par l’exploration et l’exploitation de minéraux dans des mines et carrières ou au moyen de trous de sonde. En outre, l’article 4, sous f), exclut les décharges de déchets du champ d’application.

Ces exclusions remontent à la directive Seveso originale de 1982, qui excluait de son champ d’application l’extraction ou autres activités minières ainsi que les installations de décharge de déchets toxiques et dangereux visés par des actes communautaires, dans la mesure où ces actes ont pour but la prévention d’accidents majeurs.

Lorsque la proposition de directive Seveso II a été présentée au Conseil et au Parlement européen, le mémorandum explicatif a justifié le maintien des exclusions ci-dessus en déclarant que "bien que ces secteurs présentent un potentiel d’accidents majeurs, ils n’entrent pas aisément dans le cadre de la proposition en raison de certaines nécessités ou dangers spécifiques."

La directive Seveso II permet une certaine marge d’interprétation de son champ d’application qui pourrait être utilisée pour en exclure les activités de traitement et/ou les bassins ou les digues de stériles.

Cette directive met également en œuvre la convention de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe sur les effets transfrontières des accidents industriels. Signée en 1992, cette convention est entrée en vigueur en avril 2000. Elle compte actuellement 17 parties contractantes, dont la Communauté européenne. L’objectif de la convention consiste à protéger la santé humaine et l’environnement contre les accidents industriels susceptibles de créer des effets transfrontières, et à promouvoir une coopération internationale active entre les parties contractantes avant, pendant et après ce type d’accident. Elle ne s’applique cependant pas aux défauts des digues, à l’exception des effets des accidents industriels causés par de tels défauts.

(...)

5.5.  Directive 96/61/CE du Conseil, du 24 septembre 1996, relative à la prévention et à la réduction intégrée de la pollution (directive IPPC) [13]

[13] JO L 257 du 10.10.1996.

Toutes les installations visées par l’annexe I de la directive IPPC sont tenues d’obtenir un permis d’exploitation des autorités compétentes dans les États membres. Pour la pollution ordinaire, les permis doivent comporter des valeurs limites d’émission ou des paramètres équivalents, basés sur l’utilisation de la meilleure technologie disponible (MTD). De plus, les permis doivent inclure des dispositions traitant des conditions autres que les conditions d’exploitation normales, concernant le démarrage, les dysfonctionnements liés à des fuites, les interruptions momentanées et la cessation définitive de l’exploitation, lorsque l’environnement est susceptible d’être affecté.

La directive IPPC traite des effets environnementaux globaux des processus de production, à savoir la pollution de l’air, de l’eau et du sol, la production de résidus de traitement, l’utilisation d’énergie, etc. Elle met davantage l’accent sur la prévention que sur une diminution de la pollution "en bout de course". Elle distingue les installations nouvelles ou substantiellement modifiées des installations existantes. La première de ces catégories se voit appliquer toutes les dispositions de la directive depuis octobre 1999. Pour les installations de la deuxième catégorie, les États membres disposent de la période s’achevant en octobre 2007 pour assurer leur conformité à la directive.

Les activités d’extraction de minerais ne sont pas visées par la directive IPPC mais les activités similaires à celles du site de Baia Mare entrent déjà dans son champ d’application. En effet, le paragraphe 2.5 (b) de l’annexe I vise les "installations de production de métaux non ferreux bruts obtenus par des procédés métallurgiques, chimiques ou électrolytiques à partir de minerai, de concentrés ou de matières premières dérivées".

La directive IPPC ne peut toutefois concerner tous les sites de l’Union européenne qui emploient des digues de stériles. Ces sites peuvent soit ne pas être des sites de production (s’ils sont isolés du site de production à proprement parler), soit ne pas produire de métaux bruts (par exemple s’ils produisent des concentrés), soit ne pas être considérés comme des décharges relevant de la catégorie 5.4 de l’annexe I de la directive ("les décharges qui reçoivent plus de 10 tonnes par jour ou dont la capacité totale dépasse 25 000 tonnes, à l’exception des décharges de déchets inertes"). Il est néanmoins probable que la plupart des digues atteignent ces quantités seuils.

Contrairement à la directive IPPC, la directive (99/31/CE) [14] relative aux décharges définit le concept de "décharge". Selon l’article 2, sous g), de cette directive, une décharge est un site d’élimination des déchets par dépôt des déchets sur ou dans la terre. Le stockage de déchets préalable à leur récupération ou traitement pour une période inférieure à trois ans en général et le stockage de déchets préalable à leur traitement pour une période inférieure à trois ans ne sont pas concernés, car ils ne répondent pas à la définition d’une décharge. Il est à remarquer que les bassins de stériles de Baia Mare et d’Aznalcóllar n’étaient pas destinés à un stockage temporaire. Sur la base de la définition ci-dessus, il est probable que la grande majorité des bassins de stériles répondent effectivement à la formulation actuelle de l’annexe I.

(...). »

GRIEF

46.  Invoquant l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent que le processus technologique utilisé par l’usine S.C. Transgold S.A Baia Mare (ancienne S.C. Aurul S.A Baia Mare) représente un danger pour leur vie. Ils se plaignent également de la passivité des autorités face à la situation créée, vu les nombreuses plaintes formulées par le premier requérant.

EN DROIT

47.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 223, § 44), et à la lumière de sa jurisprudence (López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-C, pp. 54-55, § 51, Guerra précitée, p. 227, § 57 et Moreno Gómez c. Espagne, no 4143/02, 16 novembre 2004); Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 96, CEDH 2003‑VIII), la Cour estime que les doléances des requérants doivent être examinées sous l’angle de l’article 8 de la Convention aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement

48.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que les requérants avaient à leur disposition trois voies de recours efficaces pour remédier aux violations alléguées : pénale, civile et administrative.

a)  Sur l’exception tirée du non-épuisement de la voie de recours pénale

49.  Le Gouvernement souligne que les requérants n’ont pas contesté devant le parquet hiérarchiquement supérieur le non-lieu prononcé le 20 novembre 2001 par le parquet près le tribunal départemental de Maramureş, conformément aux exigences de l’article 278 du Code de procédure pénale, tel qu’il était rédigé à l’époque des faits.

50.  Le premier requérant fait valoir qu’il a déposé devant les parquets près le tribunal départemental et la cour d’appel de Maramureş ainsi que devant le parquet près la Cour suprême de justice, plusieurs plaintes pénales contre des dirigeants des sociétés Aurul et Transgold ayant comme objet le danger que l’utilisation de sodium de cyanure lors du processus technologique représentait pour la santé et la vie des habitants, ainsi que pour la santé du deuxième requérant. Quant à l’ordonnance de non-lieu du 20 novembre 2001, le requérant affirme que cette décision ne concerne qu’une seule des plaintes pénales qu’il avait déposées et, qu’en tout état de cause, cette plainte ne portait que sur l’accident du 30 janvier 2000, qui ne fait pas l’objet de ses griefs dans le cadre de la présente requête.

51.  S’agissant tout d’abord de la voie pénale, la Cour observe que le premier requérant a déposé des plaintes pénales concernant deux aspects : l’accident du 30 décembre 2000 et le risque que l’utilisation de cyanure de sodium dans le processus technologique représente pour sa vie et celle du deuxième requérant et pour l’écosystème, ainsi que pour la maladie du deuxième requérant.

52.  Quant aux plaintes concernant l’accident du 30 janvier 2000, la Cour observe, à l’instar du Gouvernement, que le premier requérant a omis de contester l’ordonnance de non-lieu du 20 novembre 2001.

53.  S’agissant de l’utilisation, par les sociétés Aurul et Transgold, de cyanure de sodium lors du processus d’extraction de l’or, la Cour note que, bien que le premier requérant ait déposé plusieurs plaintes à cet égard, aucune ordonnance ou décision de justice n’a été rendue par les autorités compétentes.

54.  De plus, la Cour observe que, comme il ressort des éléments du dossier, une autre plainte pénale formulée par le premier requérant est restée sans suite : celle adressée, le 23 novembre 2001, au procureur en chef du parquet près la Cour suprême de justice. Or, dans cette plainte, le requérant demandait aux autorités d’ouvrir une enquête pénale afin de poursuivre les responsables de la pollution causée par l’utilisation de cyanure de sodium. Il alléguait également la dégradation de l’état de santé de son fils, ce dernier souffrant d’un asthme bronchique prétendument provoqué par l’utilisation de cyanure de sodium par l’exploitation minière.

55.  La Cour renvoie aux lettres des 6 mars et 8 mars 2002, du parquet près la Cour suprême de justice, informant le premier requérant de ce que ses plaintes avaient été envoyées pour instruction au parquet près la cour d’appel de Cluj. Or, il ressort des éléments du dossier, qu’aucune ordonnance concernant ces plaintes pénales n’a été rendue en l’espèce.

56.  Enfin, la Cour rappelle que selon les dispositions de la loi pour la protection de l’environnement, en vigueur à l’époque des faits, en cas d’infraction, les autorités devaient engager d’office des poursuites (art. 86 de la loi 137/1995).

Partant, cette exception doit être rejetée.

b)  Sur l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours civiles et administratives

57.  Selon le Gouvernement, la loi no 137/1995, qui prévoyait, dans son article 81, la responsabilité pour faute, serait une loi spéciale par rapport aux dispositions de droit commun (articles 998 et 999 du Code civil). Le Gouvernement évoque trois catégories de préjudices susceptibles d’être réparés en vertu de cette loi spéciale : ceux causés aux biens, aux personnes et à l’environnement.

58.  Une troisième voie de recours relèverait, selon le Gouvernement, de la procédure administrative sur l’accès aux informations concernant l’environnement, découlant de l’article 5 de la loi no 137/1995. Cette possibilité serait renforcée par la loi no 544/2001, sur l’accès aux informations d’intérêt général et la décision no 115 du Gouvernement sur le libre accès aux informations concernant l’environnement. S’agissant de la voie administrative, le Gouvernement indique aussi la possibilité, offerte aux requérants par la loi no 137/1995 sur la protection de l’environnement, de demander la révocation de l’autorisation administrative de fonctionnement délivrée par le ministère de l’Environnement.

59.  En ce qui concerne les démarches administratives en vue d’obtenir des informations concernant la technologie utilisée par les sociétés exploratrices et l’impact de cette technologie sur la santé humaine, le premier requérant affirme avoir déposé, en vertu de la loi no 544/2001 (portant sur l’accès aux informations d’intérêt général) plusieurs demandes devant les autorités administratives compétentes. Selon le premier requérant, les autorités saisies n’ont donné aucune suite à ses demandes.

60.  La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs à la violation incriminée, disponibles et adéquats. Ceux-ci doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi d’autres, l’arrêt Navarra c. France du 23 novembre 1993, série A no 273-B, p. 27, § 24). De surcroît, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (voir, mutatis mutandis, les arrêts A. c. France du 23 novembre 1993, série A no 277-B, p. 48, § 32 et De Moor c. Belgique du 23 juin 1994, série A no 292-A, p. 16‑17, § 50).

61.  Pour ce qui est de la voie administrative, la Cour note que le premier requérant a formé plusieurs plaintes administratives, demandant aux autorités d’arrêter les activités de la société et de vérifier si les sociétés détenaient une licence d’exploitation valable. Quant à la possibilité, pour les requérants, de demander la révocation de l’autorisation de fonctionnement délivrée par le ministère de l’Environnement, la Cour note qu’il ressort de la situation de fait qu’à l’époque où le premier requérant a entamé ses démarches, la société Transgold ne détenait pas une telle autorisation. Ce n’est que le 8 août 2002 que le ministère de l’Environnement a délivré trois autorisations en ce sens (voir § 7).

62.  La Cour note que, malgré les plaintes répétées du premier requérant, les autorités l’informèrent que les activités en cause ne représentaient aucun danger, que la société fonctionnait en vertu d’une licence d’exploitation valable et qu’en ce qui concernait la protection de l’environnement, l’exploitation s’effectuait en toute sécurité en (voir §§ 19, 22 - 23). La Cour observe que ces réponses des autorités n’étaient accompagnées par aucun document justificatif (rapport d’impact environnemental, rapport d’expertise, etc.).

63.  Le Gouvernement n’a soumis, par ailleurs, aucun exemple de jurisprudence interne sur l’utilisation de cette voie de recours dans des situations similaires.

64.  En tout état de cause, la Cour rappelle qu’en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, étant entendu qu’il incombe au Gouvernement excipant du non - épuisement de convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66, et Giacobbe et autres c. Italie, no 16041/02, § 63, 15 décembre 2005). En l’espèce, le Gouvernement n’a pas démontré que les requérants auraient pu obtenir une réparation conforme aux critères dégagés par la jurisprudence de la Cour devant les tribunaux compétents.

Partant, ces exceptions du Gouvernement ne sauraient être retenues.

B.  Sur le fond

65.  Le Gouvernement admet que l’article 8 de la Convention peut trouver application en cas de pollution grave de l’environnement si cela affecte le bien-être des individus et leur droit à une vie familiale. Dans certains cas, selon le Gouvernement, les droits garantis par l’article 8 de la Convention peuvent se trouver méconnus lorsque l’Etat est directement ou indirectement responsable de la pollution.

66.  Le Gouvernement estime qu’en l’espèce, comme dans l’affaire Hatton et autres c. Royaume-Uni, l’intérêt économique de l’activité en question devrait être pris en compte par la Cour. Il renvoie à l’étude d’impact environnemental réalisée en 1993, qui mentionnait l’utilisation d’une très grande superficie de terrain (70 hectares), à la proximité de la ville de Baia Mare, sur laquelle il y avait déjà deux bassins de rétention des eaux.

67.  Le Gouvernement affirme qu’à la différence des affaires Guerra et Hatton, aucune infraction au droit interne n’a été constatée en l’espèce. Le Gouvernement invoque également l’affaire Asselbourg et autres c. Luxembourg (déc., no 29121/95, CEDH 1999‑VI) dans laquelle la Cour a estimé qu’il n’a pas été prouvé que les conditions d’exploitation fixées par les autorités luxembourgeoises, et notamment les normes de rejet des déchets polluants atmosphériques, avaient été insuffisantes au point de constituer une atteinte grave au principe de précaution. Le Gouvernement soutient que la présente affaire ressemble aux affaires mentionnées en ce que les autorités nationales avaient imposé aux sociétés en cause des obligations détaillées dans le but de prévenir la pollution.

68.  Enfin, le Gouvernement estime mal fondées les affirmations relatives à l’état de santé du deuxième requérant et à son rapport avec l’éventuelle pollution.

69.  Le premier requérant conteste les affirmations du Gouvernement et affirme que le fonctionnement de la société d’exploitation minière représente un vrai danger pour sa vie et celle du deuxième requérant. Il invoque l’asthme bronchique de son fils, maladie, qui d’après lui, est largement répandue parmi les habitants de Baia Mare.

70.  Le premier requérant invoque un « empoisonnement en masse », un « génocide » et affirme que les autorités roumaines font preuve de passivité vis-à-vis de ce problème car l’Etat roumain est un des actionnaires de la société Transgold S.A.

71.  Selon le premier requérant, toutes ses démarches, que ce soit de nature pénale ou administrative, n’avaient aucune chance de succès, compte tenu de la volonté des autorités de cacher la réalité des faits et de permettre à la société de continuer l’exploitation, au mépris du danger que cela représente pour la santé et la vie des habitants de la ville de Baia Mare.

72.  La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Rejette les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement ;

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Santiago Quesada                                                       Elisabet Fura-Sandström
        
Greffier                                                                               Présidente