In breve: Pregiudizio grave all’ambiente (fabbrica chimica) – pregiudizio alla vita privata e familiare – obbligazione positiva dello Stato di fornire ai cittadini le informazioni che permettano loro di valutare i rischi a cui possono essere sottoposti.
AFFAIRE GUERRA ET AUTRES c. ITALIE
(116/1996/735/932)
ARRÊT
STRASBOURG
19
février 1998
Cet
arrêt peut subir
des retouches de forme avant la parution de sa version
définitive dans le Recueil des
arrêts et décisions 1998,
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SOMMAIRE[1]
Arrêt
rendu par
une grande chambre
Italie
– absence
d'informations de la population sur les risques encourus et les mesures
à
prendre en cas d'accident dans une usine chimique du voisinage
I.
ARTICLE
10 DE LA CONVENTION
A.
Exception préliminaire
du Gouvernement (non-épuisement des
voies de recours internes)
Première
branche – recours en référé
(article 700 du code de procédure civile) : aurait
été un remède exploitable si le grief
des intéressées avait porté sur
l’absence
de mesures visant la réduction ou
l’élimination de la pollution ; en
l’occurrence, ce recours aurait vraisemblablement abouti
à la suspension de
l’activité de l’usine.
Seconde branche –
recours au juge pénal : aurait pu tout au plus
déboucher
sur la condamnation des responsables de l’usine, mais
certainement pas sur la
communication d'informations aux requérantes.
Conclusion : rejet (dix-neuf voix contre
une).
B.
Bien-fondé du grief
Existence
d'un droit pour le public de recevoir des informations : maintes fois
reconnue
par la Cour dans des affaires relatives à des restrictions
à la liberté de la
presse, comme corollaire de la fonction propre aux journalistes de
diffuser des
informations ou des idées sur des questions
d'intérêt public – circonstances de
l'espèce se distinguent nettement de celles de ces affaires
car les requérantes
se plaignent d’un dysfonctionnement du système
instauré par la législation
pertinente – préfet prépara le plan
d’urgence sur la base du rapport fourni par
l’usine, ce plan fut communiqué au service de la
protection civile le
3 août 1993, mais à ce jour les
requérantes n’ont pas reçu les
informations litigieuses.
Liberté
de recevoir des informations : interdit essentiellement à un
gouvernement
d’empêcher quelqu’un de recevoir des
informations que d’autres aspirent ou
peuvent consentir à lui fournir – ne saurait se
comprendre comme imposant à un
Etat, dans des circonstances telles que celles de l'espèce,
des obligations
positives de collecte et de diffusion, motu
proprio, des informations.
Conclusion : inapplicabilité
(dix-huit voix contre deux).
II.
Article
8 de la convention
Incidence directe des
émissions nocives sur le droit des requérantes au
respect de leur vie privée et familiale : permet de conclure
à l'applicabilité
de l'article 8.
Requérantes
se plaignent non d’un acte, mais de l’inaction de
l’Etat – article 8 a
essentiellement pour objet de prémunir l’individu
contre des ingérences
arbitraires des pouvoirs publics – ne se contente pas
d’astreindre l’Etat à
s’abstenir de pareilles ingérences :
à cet engagement plutôt négatif
peuvent s’ajouter des obligations positives
inhérentes à un respect effectif de
la vie privée ou familiale.
En
l'occurrence, il suffit de rechercher si les autorités
nationales ont pris les
mesures nécessaires pour assurer la protection effective du
droit des
intéressées au respect de leur vie
privée et familiale.
Ministères
de l'Environnement et de la Santé adoptèrent
conjointement des conclusions sur
le rapport de sécurité
présenté par l'usine – elles donnaient
au préfet des
indications concernant le plan d'urgence, qu’il avait
préparé en 1992, et les
mesures d'information litigieuses – toutefois, au
7 décembre 1995, aucun
document concernant ces conclusions n’était
parvenu à la municipalité
compétente.
Des
atteintes graves à l'environnement peuvent toucher le
bien-être des personnes
et les priver de la jouissance de leur domicile de manière
à nuire à leur vie
privée et familiale – requérantes sont
restées, jusqu’à
l’arrêt de la
production de fertilisants en 1994, dans l’attente
d'informations essentielles
qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant
résulter pour elles et
leurs proches du fait de continuer à résider sur
le territoire de Manfredonia,
une commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans
l'enceinte de
l'usine.
Etat
défendeur a failli à son obligation de garantir
le droit des requérantes au
respect de leur vie privée et familiale.
Conclusion : applicabilité et
violation (unanimité).
III.
Article
2 de la convention
Conclusion
:
non nécessaire d'examiner l'affaire aussi sous
l'angle de l'article 2 (unanimité).
IV.
article
50 de la convention
A.
Préjudice
Dommage
matériel : non démontré.
Tort
moral : octroi d'une certaine somme à chaque
requérante.
B.
Frais et dépens
Rejet de la demande –
compte tenu de sa tardiveté et
de l'octroi de l'assistance judiciaire.
Conclusion : Etat défendeur tenu
de payer une
certaine somme à chaque requérante
(unanimité).
RÉFÉRENCES
À LA
JURISPRUDENCE DE LA COUR
9.10.1979, Airey c. Irlande ;
26.3.1987, Leander
c. Suède ; 21.2.1990, Powell et Rayner
c. Royaume-Uni ; 19.2.1991,
Zanghì c. Italie ; 27.8.1991, Demicoli c. Malte ; 27.8.1991,
Philis c. Grèce ;
26.11.1991, Observer et Guardian c. Royaume-Uni ; 25.6.1992,
Thorgeir Thorgeirson c. Islande ; 9.12.1994, Lόpez Ostra c. Espagne ;
8.6.1995,
Yağcı et Sargın c. Turquie
En l'affaire Guerra et autres c. Italie[2],
La
Cour européenne
des Droits de l'Homme, constituée, conformément
à l'article 53 de son
règlement B[3],
en
une grande chambre composée des juges dont le nom
suit :
MM. R. Bernhardt, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
B. Walsh,
R. Macdonald,
C. Russo,
A. Spielmann,
Mme E. Palm,
M.
A.N. Loizou,
Sir John
Freeland,
MM. M.A. Lopes Rocha,
G. Mifsud
Bonnici,
J. Makarczyk,
B. Repik,
P. Jambrek,
P. Kūris,
E. Levits,
J. Casadevall,
P. van Dijk,
ainsi
que de MM. H. Petzold,
greffier, et P.J. Mahoney, greffier
adjoint,
Après
en avoir
délibéré en chambre du conseil les 28
août 1997 et 27 janvier 1998,
Rend
l'arrêt que
voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
1. L'affaire
a été déférée
à la Cour par la Commission européenne des Droits
de l'Homme
(« la Commission ») le
16 septembre 1996, dans le délai de trois
mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de
la Convention de
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales (« la
Convention »). A son origine se trouve une
requête (n° 14967/89)
dirigée
contre la République
italienne et dont quarante ressortissantes de cet Etat
avaient saisi la Commission le 18 octobre 1988 en vertu de
l'article 25. La
liste des
requérantes s'établit ainsi : Mmes
Anna Maria Guerra, Rosa Anna
Lombardi, Grazia Santamaria, Addolorata Caterina Adabbo, Anna Maria
Virgata,
Antonetta Mancini, Michelina Berardinetti, Maria Di Lella, Maria Rosa
Porcu,
Anna Maria Lanzetta, Grazia Lagattolla, Apollonia Rinaldi, Renata Maria
Pilati,
Raffaela Ciuffreda, Raffaella Lauriola, Diana Gismondi, Filomena
Totaro, Giulia
De Feudis, Sipontina Santoro, Maria Lucia Rita Colavelli Tattilo, Irene
Principe,
Maria De Filippo, Vittoria De Salvia, Anna Totaro, Maria
Telera, Grazia
Telera, Nicoletta Lupoli, Lisa Schettino, Maria Rosaria Di Vico, Gioia
Quitadamo, Elisa Anna Castriotta, Giuseppina Rinaldi, Giovanna
Gelsomino,
Antonia Iliana Titta, Concetta Trotta, Rosa Anna Giordano, Anna Maria
Trufini,
Angela Di Tullo, Anna Maria Giordano et Raffaela Rinaldi.
La
demande de la
Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à
la déclaration
italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour
(article 46).
Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de
savoir si les faits de
la cause révèlent un manquement de l'Etat
défendeur aux exigences de
l'article 10 de la Convention.
2. Le
4 octobre 1997, les
requérantes ont désigné leur conseil
(article 31 du règlement B) que le
président de la chambre a autorisé à
employer la langue italienne
(article 28 § 3).
3. La
chambre à constituer comprenait de plein droit
M. C. Russo, juge élu de
nationalité italienne (article 43 de la
Convention), et M. R.
Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21
§ 4 b) du
règlement B). Le 17 septembre 1996, le
président de la Cour,
M. R. Ryssdal, avait tiré au sort le nom des sept
autres membres, à savoir
M. F. Matscher, M. A. Spielmann, Sir John Freeland, M. M.A. Lopes
Rocha, M. J.
Makarczyk, M. J. Casadevall et
M. P. van Dijk, en
présence du greffier (articles 43 in
fine de la Convention et 21 § 5 du
règlement B).
4. En
sa qualité de président de la
chambre (article 21 § 6 du
règlement B), M. Bernhardt a
consulté, par l'intermédiaire du greffier,
l'agent du gouvernement italien
(« le Gouvernement »), le conseil
des requérantes et le
délégué de la
Commission au sujet de l'organisation de la procédure
(articles 39
§ 1 et 40). Conformément à
l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier
a reçu les mémoires des requérantes et
du Gouvernement les 14 et 16 avril
1997 respectivement.
5. Le
29 avril 1997, la
Commission a produit le dossier de la procédure suivie
devant elle ; le
greffier l'y avait invitée sur les instructions du
président.
6. Ainsi
qu'en avait décidé ce dernier, les
débats se sont déroulés en public le
27 mai 1997, au Palais des Droits de l'Homme à
Strasbourg. La Cour avait
tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont
comparu :
–
pour le Gouvernement
MM. G. Raimondi,
magistrat détaché
au service du contentieux
diplomatique
du ministère des Affaires
étrangères,
coagent,
G. Sabbeone,
magistrat détaché
au cabinet législatif du
ministère
de la Justice,
conseil ;
–
pour la Commission
M. I.
Cabral
Barreto,
délégué ;
–
pour les requérantes
Mlle
N. Santilli,
juriste,
conseil.
La
Cour a entendu en
leurs plaidoiries M. Cabral Barreto, Mlle Santilli,
M. Sabbeone
et M. Raimondi.
7. Le
3 juin 1997, la chambre a
décidé de se dessaisir avec effet
immédiat au profit d'une grande chambre
(article 53 § 1 du règlement B).
8. La
grande chambre à constituer comprenait de plein droit M.
Ryssdal, président de
la Cour, et M. Bernhardt, vice-président, les autres membres
de la chambre
originaire ainsi que les quatre suppléants de celle-ci,
MM. P. Kūris,
G. Mifsud Bonnici, Thór Vilhjálmsson et
B. Repik (article 53 § 2
a) et b) du règlement B). Le 3 juillet 1997, le
président a tiré au sort en
présence du greffier le nom des sept juges
supplémentaires appelés à
compléter
la grande chambre, à savoir M. F.
Gölcüklü, M. B. Walsh,
M. R. Macdonald,
Mme E. Palm,
M. A.N. Loizou,
M. P. Jambrek et M. E. Levits
(article 53 § 2 c)).
9. Le
29 juillet 1997, le président a autorisé le
délégué de la Commission à
présenter des observations sur les demandes de satisfaction
équitable des
requérantes. Lesdites observations sont parvenues au greffe
le
19 septembre 1997.
10. Après
avoir consulté l'agent du Gouvernement, le
représentant des requérantes et le
délégué de la Commission, la grande
chambre avait décidé, le 28 août 1997
qu'il
n'y avait pas lieu de tenir une nouvelle audience à la suite
du dessaisissement
de la chambre (article 40 combiné avec
l'article 53 § 6).
11. M.
Ryssdal se trouvant
empêché de participer à la
délibération du 27 janvier 1998, M.
Bernhardt
l'a remplacé à la présidence de la
grande chambre (article 21 § 6 combiné avec
l'article 53 § 6).
EN FAIT
I. Les
circonstances de l'espÈce
A. L'usine
d'Enichem agricoltura
12. Les
requérantes résident
toutes dans la commune de Manfredonia (Foggia) sise à un
kilomètre environ de
l'usine chimique de la société anonyme Enichem
agricoltura, implantée, elle,
sur le territoire de la commune de Monte Sant'Angelo.
13. En
1988, l'usine, qui produisait des fertilisants et du caprolactame
(composé
chimique donnant par polycondensation un polyamide utilisé
pour fabriquer des
fibres synthétiques tel le nylon), fut classée
à haut risque en application des
critères retenus par le décret du
président de la République du 18 mai
1988 n° 175 (« DPR
175/88 »), qui avait transposé en droit
italien la directive 82/501/CEE du Conseil des Communautés
européennes
(directive « Seveso »),
concernant les risques d'accidents majeurs
liés à certaines activités
industrielles dangereuses pour l'environnement et le
bien-être des populations concernées.
14. Selon
les requérantes, non contredites par le Gouvernement, au
cours de son cycle de
fabrication l'usine aurait libéré de grandes
quantités de gaz inflammable – ce
qui aurait pu entraîner des réactions chimiques
explosives libérant des
substances hautement toxiques –, ainsi que de l'anhydride
sulfurique, de
l'oxyde d'azote, du sodium, de l'ammoniaque, de l'hydrogène
métallique, de
l'acide benzoïque et surtout de l'anhydride d'arsenic.
15. Des
accidents de fonctionnement s'étaient, en effet,
déjà produits par le passé, le
plus grave étant celui du 26 septembre 1976 lorsque
l'explosion de la tour
de lavage des gaz de synthèse d'ammoniaque laissa
s'échapper plusieurs tonnes
de solution de carbonate et de bicarbonate de potassium, contenant de
l'anhydride d'arsenic. A cette occasion, 150 personnes durent
être
hospitalisées en raison d'une intoxication aiguë
par l'arsenic.
16. Par
ailleurs, dans un rapport du 8 décembre 1988, une
commission technique
nommée par la municipalité de Manfredonia
établit notamment, qu'à cause de la
position géographique de l'usine, les émissions
de substances dans l'atmosphère
étaient souvent canalisées vers la ville. Le
rapport faisait état d'un refus de
l'usine à une inspection de ladite commission et du fait
que, d'après les
résultats d'une étude menée par
l'usine elle-même, les installations de
traitement des fumées étaient insuffisantes et
l'étude d'impact environnemental
était incomplète.
17. En
1989, l'usine limita son activité à la production
de fertilisants, ce qui
justifia son maintien dans la catégorie des usines
dangereuses visées par le
DPR 175/88. En 1993, les ministères de l'Environnement et de
la Santé
adoptèrent conjointement un arrêté
prescrivant des mesures à adopter par
l'usine afin d'améliorer la sécurité
de la production en cours de fertilisants
et, en cas de reprise de la production de caprolactame, la
sécurité de celle-ci
(paragraphe 27 ci-dessous).
18. En
1994, l'usine arrêta définitivement la production
de fertilisant. Seules une
centrale thermoélectrique et des installations de traitement
des eaux primaires
et usées continuent de fonctionner.
B.
Les poursuites pénales
1. Devant
le juge d'instance de
Foggia
19. Le
13 novembre 1985, 420 habitants de Manfredonia (parmi lesquels
figureraient les requérantes) saisirent le juge d'instance (pretore) de Foggia en
dénonçant la
présence dans l'atmosphère de fumées
d'échappement provenant de l'usine et dont
la composition chimique et le degré de toxicité
n'étaient pas connus. Sept
administrateurs de la société
incriminée firent l'objet d'une procédure
pénale
pour des infractions liées à des
émissions polluantes de l'usine et au
non-respect de plusieurs normes concernant la protection de
l'environnement.
Dans
sa décision du
16 juillet 1991, le juge n'infligea aucune peine aux
inculpés – soit pour
cause d'amnistie ou prescription, soit pour paiement
immédiat d'une amende (oblazione)
– sauf à deux
administrateurs. Ces derniers furent condamnés à
cinq mois d'emprisonnement et
deux millions de lires d'amende, ainsi qu'à la
réparation des dommages civils,
pour avoir fait construire des décharges sans avoir obtenu
au préalable
l'autorisation nécessaire, en violation des dispositions
pertinentes du
DPR 915/82 en matière d'élimination des
déchets.
2. Devant la cour d'appel de
Bari
20. Statuant
sur l'appel interjeté par les deux administrateurs
condamnés ainsi que de
l'organisme public pour l'électricité (ENEL)
et de la municipalité de Manfredonia, qui
s'étaient constitués parties civiles,
la cour d'appel de Bari acquitta les appelants le 29 avril
1992, au motif
que le délit n'était pas constitué,
confirmant pour le surplus la décision
attaquée. La juridiction estima que les erreurs dans la
gestion des déchets,
reprochées aux intéressés devaient en
fait être attribuées aux retards et
incertitudes dans l'adoption et dans l'interprétation,
notamment par la région
des Pouilles, des normes d'application du DPR 915/82.
L'existence d'un
dommage indemnisable était par conséquent
à exclure.
C. L'attitude des
autorités compétentes
21. Un
comité paritaire Etat-région des Pouilles fut
créé auprès du ministère de
l'Environnement pour donner suite à la directive Seveso.
Ce
comité ordonna
une enquête technique confiée à une
commission instituée par un arrêté du
ministre de l'Environnement du 19 juin 1989, avec le mandat
suivant :
a) faire
le point sur la conformité de l'usine aux règles
édictées en matière
d'environnement, en ce qui concernait l'écoulement des eaux
usées, le
traitement des déchets liquides et solides, les
émanations de gaz et la
pollution sonore, ainsi que sur les aspects relatifs à la
sécurité ;
vérifier l'état des autorisations
accordées à l'usine à cet
effet ;
b) faire
le point sur la compatibilité de l'implantation de l'usine
avec son
environnement en ayant égard en particulier aux
problèmes de la protection de
la santé de la population, de la faune et de la flore, et
aux problèmes de
l'aménagement correct du territoire ;
c) suggérer
les actions à entreprendre pour acquérir toutes
les données aptes à combler les
lacunes qui seraient apparues pour l'étude des points a) et
b) et indiquer les
mesures à mettre en œuvre pour la protection de l'environnement.
22. Le
6 juillet 1989, en
application de l'article 5 du DPR 175/88, l'usine
communiqua le
rapport de sécurité.
23. Le
24 juillet 1989, la
commission présenta son rapport qui fut transmis au
comité paritaire
Etat-région. Celui-ci formula ses conclusions le
6 juillet 1990, fixant au
30 décembre 1990 la date de remise au ministre de
l'Environnement du
rapport prévu à l'article 18 du
DPR 175/88 sur les risques
d'accidents majeurs. Il recommandait par ailleurs :
a) la
réalisation d'études sur la
compatibilité de l'usine avec l'environnement et
sur la sécurité de l'établissement,
des analyses complémentaires sur les
scénarios catastrophe et sur la préparation et la
mise en place de plans
d'intervention d'urgence ;
b) un
certain nombre de modifications à apporter en vue de
réduire de façon
draconienne les émissions de substances dans
l'atmosphère et d'améliorer le
traitement des eaux usées, des changements techniques
radicaux dans les cycles
de production de l'urée et de l'azote, la
réalisation d'études sur la pollution
du sous-sol et sur l'assise hydrogéologique de l'usine. Le
délai prévu pour ces
réalisations était de trois ans. Le rapport
soulignait aussi la nécessité de
résoudre le problème de la combustion des
liquides et de la réutilisation des
sels de soude.
Le
comité demanda
également la création, avant le
30 décembre 1990, d'un centre public
d'hygiène industrielle ayant pour tâche de
contrôler périodiquement les
conditions d'hygiène et de respect de l'environnement de
l'établissement et de
servir d'observatoire épidémiologique.
24. Les
problèmes liés au fonctionnement de l'usine
firent l'objet, le 20 juin
1989, d'une question parlementaire au ministre de l'Environnement, et
le
7 novembre 1989, au sein du Parlement européen,
d'une question à la
Commission des Communautés européennes. En
réponse à cette dernière, le
commissaire compétent indiqua : 1) que la
société Enichem avait envoyé
au gouvernement
italien le rapport
demandé sur la sécurité des
installations, conformément à
l'article 5 du
DPR 175/88 ; 2) que sur la base de ce
rapport, ledit
gouvernement avait procédé à
l'instruction de l'affaire comme prévu à
l'article 18 du DPR 175/88 afin de
contrôler la sécurité des
installations et, le cas échéant, d'indiquer les
mesures supplémentaires de
sécurité qui s’avéreraient
nécessaires ; et 3) qu'en ce qui
concernait l'application de la directive Seveso, le gouvernement avait
pris à
l'égard de l'usine les mesures requises.
D. Les mesures
d'information de la population
25. Les
articles 11 et 17 du DPR 175/88 prévoient
l'obligation, à la charge
du maire et du préfet compétents, d'informer la
population concernée sur les
risques liés à l'activité industrielle
en question, les mesures de sécurité
adoptées, les plans d'urgence préparés
et la procédure à suivre en cas d'accident.
26. Le
2 octobre 1992, le comité de coordination des
activités de sécurité en
matière
industrielle formula son avis sur le plan d'urgence qui avait
été préparé par
le préfet de Foggia, conformément à
l'article 17 § 1 du DPR 175/88.
Le 3 août 1993, ce plan fut transmis au
comité compétent du service pour
la protection civile. Dans une lettre du 12 août
1993, le sous-secrétaire
dudit service assura le préfet de Foggia que le plan serait
soumis à bref délai
au comité de coordination pour avis et exprima le souhait
qu'il pût être rendu
opérationnel le plus tôt possible, compte tenu des
questions délicates liées à
la planification d'urgence.
27. Le
14 septembre 1993, conformément à l'article 19 du
DPR 175/88, les
ministères de l'Environnement et de la Santé
adoptèrent conjointement les
conclusions sur le rapport de sécurité
présenté par l'usine en
juillet 1989. Celles-ci prescrivaient une
série d'améliorations à
apporter aux installations, à la fois en ce qui concernait
la production de
fertilisants et en cas de reprise de la production de caprolactame
(paragraphe 17 ci-dessus). Elles donnaient au
préfet des indications
concernant le plan d'urgence de son ressort et les mesures
d'information de la
population prescrits par l'article 17 dudit DPR.
Toutefois,
dans un
courrier du 7 décembre 1995 à la
Commission européenne des Droits de
l'Homme, le maire de Monte Sant'Angelo affirma qu'à cette
dernière date,
l'instruction en vue des conclusions prévues par
l'article 19 se
poursuivait et qu'aucun document concernant ces conclusions ne lui
était
parvenu. Il précisait que la municipalité
attendait toujours de recevoir des
directives du service de la protection civile afin d'arrêter
les mesures de
sécurité à prendre et les
règles à suivre en cas d'accident et à
communiquer à
la population, et que les mesures visant l'information de la population
seraient prises immédiatement après les
conclusions de l'instruction, dans
l'hypothèse d'un redémarrage de la production de
l'usine.
II. Le
droit interne pertinent
28. En
ce qui concerne les
obligations d'information en matière de
sécurité pour l'environnement et pour
les populations intéressées, l'article 5
du DPR 175/88 prévoit que
l'entreprise exerçant des activités dangereuses
doit notifier aux ministères de
l'Environnement et de la Santé un rapport contenant
notamment des informations
détaillées sur son activité, les plans
d'urgence en cas d'accident majeur, les
personnes chargées d'exécuter ce plan, ainsi que
les mesures adoptées par
l'entreprise pour réduire les risques pour l'environnement
et pour la santé
publique. Par ailleurs, l'article 21 du DPR 175/88
prévoit une peine
pouvant aller jusqu'à un an d'emprisonnement pour tout
entrepreneur ayant omis
de procéder à la communication prévue
par l'article 5.
29. A
l'époque des faits, l'article 11 § 3 du
DPR 175/88 prévoyait que le maire
devait informer le public sur :
a) le
procédé de production ;
b) les substances
présentes et leur
quantité ;
c) les risques possibles pour
les employés et
ouvriers de l'usine, pour la population et pour
l'environnement ;
d) les conclusions sur le
rapport sur la
sécurité de l'usine notifié par cette
dernière au sens de l'article 5, ainsi
que sur les mesures complémentaires prévues par
l'article 19 ;
e) les mesures de
sécurité et les règles à
suivre en cas d'accident.
D'autre
part, le
paragraphe 2 du même article précisait qu'afin
d'assurer la protection des
secrets industriels, toute personne chargée d'examiner les
rapports ou les
renseignements provenant des entreprises concernées ne
devait pas divulguer les
informations dont elle avait eu connaissance.
30. L'article
11 § 1 disposait que les données et les
informations relatives aux activités
industrielles recueillies en application du DPR 175/88 ne
pouvaient être
utilisées que pour les buts pour lesquels elles avaient
été demandées.
Cette
disposition a
été en partie modifiée par le
décret-loi n° 461 du 8 novembre
1995 et
prévoit, en son paragraphe 2, que l'interdiction de
divulgation découlant du
secret industriel est exclue pour certaines informations, à
savoir celles
contenues dans une fiche d'information devant être
rédigée et envoyée au
ministère de l'Environnement et au comité
technique régional ou interrégional
par l'entreprise concernée. Les obligations d'information
à la charge du maire
restent en tout cas inchangées, et figurent aujourd'hui au
paragraphe 4.
31. L'article
17 du DPR 175/88 prévoit certaines obligations
d'information également à
la charge du préfet. En particulier, le
paragraphe 1 de cette disposition
(aujourd'hui devenu 1 bis) dispose
que le préfet doit préparer un plan d'urgence,
sur la base des informations fournies
par l'usine concernée et le comité de
coordination des activités de sécurité
en
matière industrielle, qui doit être
communiqué par la suite au ministère de
l'Intérieur et au service pour la
sécurité civile. Le paragraphe 2 exige
ensuite du préfet qu'après avoir
préparé le plan d'urgence, il informe de
façon
adéquate la population intéressée sur
les risques découlant de l'activité, sur
les mesures de sécurité adoptées afin
de prévenir un accident majeur, sur les
mesures d'urgence prévues à
l'extérieur de l'usine en cas d'accident majeur et
sur les normes à suivre en cas d'accident. Les modifications
apportées à cet
article par le décret-loi mentionné ci-dessus
consistent notamment en
l'adjonction d'un nouveau paragraphe 1, prévoyant que le
service pour la
protection civile doit établir les critères de
référence pour la planification
d'urgence et l'adoption des mesures d'information du public par le
préfet,
ainsi qu'en l'abrogation du paragraphe 3, qui disposait que les mesures
d'information prévues par le paragraphe 2 devaient
être communiquées aux
ministères de l'Environnement et de la Santé,
ainsi qu'aux régions intéressées.
32. L'article
14 § 3 de la loi n° 349 du 8 juillet 1986, qui a
institué en Italie le
ministère de l'Environnement et introduisait en
même temps les premières règles
en matière de préjudice pour l'environnement,
prévoit que quiconque a le droit
d'accéder aux informations sur l'état de
l'environnement disponibles,
conformément aux lois en vigueur, auprès de
l'administration, et peut en
obtenir copie contre remboursement des frais.
33. Dans
un arrêt du 21 novembre
1991 (n° 476), le Conseil de justice administrative
pour la Sicile (Consiglio di Giustizia
amministrativa per la
Regione siciliana), qui pour cette région tient
lieu de Conseil d'Etat, a
établi que la notion d’informations sur
l'état de l'environnement inclut tous
les renseignements concernant l'habitat dans lequel vit l'homme et qui
ont
trait à des éléments
revêtant un certain intérêt pour la
collectivité. Se
fondant sur pareils critères, le Conseil de justice
administrative a estimé
injustifié le refus d'une municipalité de
permettre à un particulier d'obtenir
une copie des résultats des analyses sur le
caractère potable ou non des eaux
du territoire d'une commune.
III. Les travaux du
Conseil de l'Europe
34. Parmi
les différents
documents adoptés par le Conseil de l'Europe dans le domaine
en cause dans la
présente affaire, il y a lieu de citer en particulier la
résolution 1087 (1996)
de l'Assemblée parlementaire, relative aux
conséquences de l'accident de
Tchernobyl et adoptée le 26 avril 1996
(seizième séance). Se
référant non
seulement au domaine des risques liés à la
production et à l'utilisation de l'énergie
nucléaire dans le secteur civil mais aussi à
d'autres domaines, cette
résolution énonce que
« l'accès du public à une
information claire et
exhaustive (...) doit être considéré
comme l'un des droits fondamentaux de la
personne ».
PROCÉDURE
DEVANT LA COMMISSION
35. Les
requérantes ont saisi la
Commission le 18 octobre 1988. Invoquant l'article 2
de la
Convention, elles alléguaient que l'absence de mesures
concrètes, notamment
pour diminuer la pollution et les risques d'accidents majeurs
liés à l'activité
de l'usine, portait atteinte au respect de leur vie et de leur
intégrité
physique. Elles se plaignaient aussi de ce que la non-adoption par les
autorités compétentes des mesures d'information
sur les risques encourus par la
population et les mesures à prendre en cas d'accidents
majeurs, prévues
notamment par les articles 11 § 3 et 17
§ 2 du décret du
président de la République
n° 175/88, méconnaissait leur droit
à la
liberté d'information garanti par l'article 10.
36. La
Commission a retenu la
requête (n° 14967/89) le 6 juillet 1995 quant au
grief tiré de l'article 10 et
l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 29 juin
1996 (article 31),
elle conclut, par vingt et une voix contre huit, qu'il y a eu violation
de
cette disposition. Le texte intégral de son avis et des
trois opinions
dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent
arrêt[4].
CONCLUSIONS
PRÉSENTÉeS À LA COUR
37. Le
Gouvernement conclut son mémoire en invitant la Cour,
à titre principal, à
rejeter la requête pour non-épuisement des voies
de recours internes et,
subsidiairement, à juger qu'il n'y a pas eu violation de
l'article 10 de
la Convention.
38. A
l’audience, le conseil des requérantes a
demandé à la Cour de juger qu’il y a
eu violation des articles 10, 8 et 2 de la Convention et
d’allouer à ses
clientes une satisfaction équitable.
en
droit
I.
sur l'objet du litige
39. Devant
la Commission, les requérantes ont
présenté deux griefs. Elles se plaignaient
en premier lieu de la non-adoption, par les autorités
publiques, d'actions
aptes à diminuer la pollution de l'usine chimique Enichem
agricoltura de
Manfredonia
(« l’usine ») et
à éviter les risques d'accidents majeurs
; elles affirmaient que cette situation portait atteinte à
leur droit au
respect de leur vie et de leur intégrité physique
garanti par l'article 2 de la
Convention. Elles dénonçaient ensuite la
non-adoption, par l'Etat italien, de
mesures d'information sur les risques encourus et les comportements
à adopter
en cas d'accident majeur prévues par les
articles 11 § 3 et 17 § 2 du
décret du président de la République
n° 175/88 (« le
DPR 175/88 ») ; elles en
inféraient une violation de leur droit à
la liberté d'information mentionné à
l'article 10 de la Convention.
40. Le
6 juillet 1995, la Commission, à la majorité, a
accueilli l'exception
préliminaire de non-épuisement
soulevée par le Gouvernement à l'égard
du
premier point et a retenu le restant de la requête
« tous moyens de fond
réservés ».
Dans
son rapport du
25 juin 1996, elle a examiné l'affaire sous l'angle de
l'article 10 de la
Convention et considéré cette disposition
applicable et violée au motif qu'au
moins entre l'adoption du DPR 175/88, en mai 1988, et la cessation de
la
production de fertilisants, en 1994, les autorités
compétentes se
devaient de prendre les mesures nécessaires afin
que les requérantes, qui résidaient toutes dans
une zone à haut risque, pussent
« recevoir une information adéquate sur
des questions intéressant la
protection de leur environnement ».
Huit membres de la Commission
ont exprimé leur désaccord dans trois opinions
dissidentes, dont deux mettent
en évidence la possibilité d'une approche
différente du litige, fondée sur
l'applicabilité de l'article 8 de la Convention.
41. Les
intéressées ont, dans leur mémoire
à la Cour puis à l'audience, invoqué
aussi
les articles 8 et 2 de la Convention en arguant que le
défaut des
informations en question a enfreint leur droit au respect de leur vie
privée et
familiale et leur droit à la vie.
42. Devant
la Cour, le délégué de
la Commission s'est borné à confirmer la
conclusion du rapport (à savoir la
violation de l'article 10), tandis que le Gouvernement a
déclaré que les
griefs relatifs aux articles 8 et 2 dépassaient le cadre
tracé par la décision
sur la recevabilité.
Il
y a donc lieu de
déterminer avant tout les limites de la
compétence ratione materiae.
43. La
Cour souligne d'abord que sa compétence
« s'étend à toutes les
affaires
concernant l'interprétation et l'application de la
(…) Convention qui lui sont
soumises dans les conditions prévues par l'article
48 » (article 45 de la
Convention tel que modifié par le Protocole n° 9
pour les Etats qui ont ratifié
celui-ci, comme l’Italie) et qu'« En
cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour
décide » (article 49).
44. Elle
rappelle ensuite que, maîtresse de la qualification juridique
des faits de la
cause, elle ne se considère pas comme liée par
celle que leur attribuent les
requérants, les gouvernements ou la Commission. En vertu du
principe jura novit curia, elle a
par exemple
étudié d'office plus d'un grief sous l'angle d'un
article ou paragraphe que
n'avaient pas invoqué les comparants, et même
d'une clause au regard de
laquelle la Commission l'avait déclaré
irrecevable tout en le retenant sur le
terrain d'une autre. Un grief se caractérise par les faits
qu'il dénonce et non
par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir
l'arrêt Powell et
Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A
n° 172, p. 13, § 29).
La
plénitude de sa
juridiction ne joue que dans les limites de
l'« affaire », lesquelles
sont fixées par la décision de
recevabilité de la requête. A
l'intérieur du
cadre ainsi tracé, la Cour peut traiter toute question de
fait ou de droit qui
surgit pendant l'instance engagée devant elle (voir, parmi
beaucoup d'autres,
l'arrêt Philis c. Grèce du 27 août 1991,
série A n° 209, p. 19, § 56).
45. En
l'espèce, les moyens tirés des articles 8 et 2 ne
figuraient pas expressément
dans la requête et les mémoires initiaux des
intéressées devant la Commission.
Ils présentent cependant une connexité manifeste
avec celui qui s'y trouvait
exposé, l'information des requérantes,
résidant toutes à un kilomètre
à peine
de l'usine, pouvant avoir des répercussions sur leur vie
privée et familiale et
leur intégrité physique.
46. Eu
égard à ce qui précède
ainsi qu'au texte de la décision de la Commission sur la
recevabilité, la Cour
estime pouvoir se placer sur le terrain des articles 8 et 2 de la
Convention en
sus de l'article 10.
ii. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'article 10 de la convention
47. Les
requérantes se prétendent victimes
d’une violation de l’article 10 de la
Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit
à la liberté d'expression.
Ce droit comprend la liberté d'opinion et la
liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse
y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de
frontière. Le présent article
n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de
radiodiffusion, de
cinéma ou de télévision à
un régime d'autorisations.
2. L'exercice de
ces libertés comportant des
devoirs et des responsabilités peut être soumis
à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi,
qui constituent des
mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité
nationale, à
l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la
défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la
santé ou de la morale, à la
protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour
empêcher la
divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir
l'autorité et
l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Le
manquement
découlerait de la non-adoption par les autorités
compétentes de mesures
d’information de la population sur les risques encourus et
sur les mesures à
prendre en cas d’accident lié à
l’activité de l’usine.
A. Sur l'exception
préliminaire du Gouvernement
48. Le
Gouvernement soulève, comme déjà
devant la Commission, une exception de
non-épuisement des voies de recours internes
articulée en deux branches.
La
première repose
sur le recours en référé
prévu à l'article 700 du code de
procédure civile. Si
les requérantes craignaient un danger immédiat
lié à l’activité de
l’usine,
elles auraient pu et dû saisir le juge afin
d’obtenir une décision qui leur
aurait immédiatement permis de protéger leurs
droits. Le Gouvernement reconnaît
ne pas fournir d'exemples d'application de cette disposition
à des cas
analogues, mais il affirme qu’abstraction faite de la
possibilité d'utiliser
cette disposition à l’encontre de la puissance
publique, l’article 700 peut à
coup sûr être utilisé envers une usine
lorsque, comme ce serait le cas en l’espèce,
celle-ci n’a pas préparé le rapport de
sécurité exigé par l’article
5 du
DPR 175/88 (paragraphe 28 ci-dessus).
La
seconde branche
porte sur la circonstance que les requérantes
n’ont pas saisi le juge pénal
pour se plaindre du défaut des informations pertinentes,
notamment de la part
de l'usine, l'article 21 du DPR susmentionné sanctionnant au
pénal ce type
d’omissions.
49. Selon
la Cour, aucun des deux recours n'aurait permis d'atteindre le but
visé par les
intéressées.
Même
si le
Gouvernement n'a pu prouver l'efficacité du recours en
référé, le contentieux
lié à l'environnement dans le domaine en question
n'ayant pas encore fourni de
jurisprudence, l'article 700 du code de procédure civile
aurait été un remède
exploitable si le grief des intéressées avait
porté sur l’absence de mesures
visant la réduction ou l’élimination de
la pollution ; telle a été
d’ailleurs la conclusion de la Commission au stade de la
recevabilité de la
requête (paragraphe 40 ci-dessus). En l’occurrence,
il s'agissait en réalité de
l'absence d’informations sur les risques encourus et les
mesures à prendre en
cas d’accident, alors que le recours en
référé aurait vraisemblablement abouti
à la suspension de l’activité de
l’usine.
Quant
au volet
pénal, le rapport de sécurité a
été transmis par l’usine le
6 juillet 1989
(paragraphe 22 ci-dessus) et ce recours aurait pu tout au plus
déboucher sur la
condamnation des responsables de l’usine, mais certainement
pas sur la
communication d'informations aux requérantes.
Il
y a donc lieu
d’écarter l’exception.
B. Sur le
bien-fondé du grief
50. Reste
à savoir si l’article
10 de la Convention est applicable et a été
enfreint.
51. Selon
le Gouvernement, cette disposition se limite à garantir la
liberté de recevoir
des informations sans entraves de la part d’un Etat et
n’impose aucune
obligation positive. En témoignerait le fait que la
résolution 1087 (1996) de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe et
la directive 90/313/CEE du Conseil des Communautés
européennes, relatives aux
risques pouvant découler de certaines activités
industrielles dangereuses, ne
parlent pas d’un droit mais d’un simple
accès à l’information. Si une
obligation positive d’informer existait, elle serait
« extrêmement
difficile à mettre en œuvre »
car il faudrait déterminer les modalités et
le moment de la divulgation des informations ainsi que les
autorités
responsables de celle-ci et ses destinataires.
52. Avec
les requérantes, la Commission estime que
l’information du public représente
désormais l'un des instruments essentiels de protection du
bien-être et de la
santé de la population dans les situations de danger pour
l'environnement. Par
conséquent, les mots « ce droit comprend
(...) la liberté de recevoir
(...) des informations », contenus au paragraphe 1
de l'article 10,
devraient s'interpréter comme attribuant un
véritable droit à recevoir des
informations, notamment de la part des administrations
compétentes, dans le
chef des personnes appartenant à des populations ayant
été ou pouvant être
affectées par une activité industrielle, ou d'une
autre nature, dangereuse pour
l'environnement.
L'article
10
imposerait aux Etats non seulement de rendre accessibles au public les
informations en matière d'environnement, exigence
à laquelle le droit italien
semble pouvoir déjà répondre,
notamment en vertu de l'article 14 § 3
de la loi n° 349, mais aussi des obligations positives
de collecte,
d'élaboration et de diffusion de ces informations qui, par
leur nature, ne
pourraient être autrement portées à la
connaissance du public. La protection
assurée par l'article 10 jouerait donc un rôle
préventif à l’égard des
violations potentielles de la Convention en cas d'atteintes graves
à
l'environnement, cette disposition entrant en jeu avant même
qu'une atteinte
directe à d'autres droits fondamentaux – tels le
droit à la vie ou celui au
respect de la vie privée et familiale – ne se
produise.
53. La
Cour ne souscrit pas à
cette thèse. L'existence d'un droit pour le public de
recevoir des informations
a été maintes fois reconnue par elle dans des
affaires relatives à des
restrictions à la liberté de la presse, comme
corollaire de la fonction propre
aux journalistes de diffuser des informations ou des idées
sur des questions
d'intérêt public (voir, par exemple, les
arrêts Observer et Guardian c.
Royaume-Uni du 26 novembre 1991, série A
n° 216, p. 30, § 59 b), et
Thorgeir Thorgeirson c. Islande du 25 juin 1992, série A
n° 239, p. 27, §
63). Les circonstances de l'espèce se distinguent toutefois
nettement de celles
des affaires susmentionnées car les requérantes
se plaignent d’un
dysfonctionnement du système instauré par le
DPR 175/88, qui avait transposé
en droit italien la directive 82/501/CEE du Conseil des
Communautés européennes
(directive « Seveso »),
concernant les risques d'accidents majeurs
liés à certaines activités
industrielles dangereuses pour l'environnement et le
bien-être des populations concernées. En effet,
s’il est vrai que le préfet de
Foggia prépara le plan d’urgence sur la base du
rapport fourni par l’usine et
que ce plan fut communiqué au service de la protection
civile le 3 août 1993, à
ce jour les requérantes n’ont pas reçu
les informations litigieuses
(paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
La
Cour rappelle que
la liberté de recevoir des informations,
mentionnée au paragraphe 2 de
l'article 10 de la Convention, « interdit
essentiellement à un
gouvernement d’empêcher quelqu’un de
recevoir des informations que d’autres
aspirent ou peuvent consentir à lui
fournir » (arrêt Leander
c. Suède
du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 29,
§ 74). Ladite liberté ne
saurait se comprendre comme imposant à un Etat, dans des
circonstances telles
que celles de l'espèce, des obligations positives de
collecte et de diffusion, motu proprio,
des informations.
54. En
conclusion, l’article 10
ne s’applique pas en l’espèce.
55. Au
vu du paragraphe 45
ci-dessus, il échet d'examiner l'affaire sous l'angle de
l'article 8 de la
Convention.
III. SUR LA VIOLATION
allÉguÉe de l’article 8 de la
Convention
56. Les
requérantes se
prétendent devant la Cour, sur la base des mêmes
faits, victimes d'une
violation de l'article 8 de la Convention, ainsi
libellé :
« 1.
Toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de
sa correspondance.
2. Il ne peut y
avoir ingérence d'une autorité
publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans
une société
démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la
sûreté publique, au
bien-être économique du pays, à la
défense de l'ordre et à la prévention
des
infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés
d'autrui. »
57. La
Cour a pour tâche de
rechercher si l’article 8 de la Convention s'applique et a
été enfreint.
Elle
note d'abord
que les intéressées résident toutes
à Manfredonia, à un kilomètre environ
de
l'usine en question qui, à cause de sa production de
fertilisants et de
caprolactame, a été classée
à haut risque en 1988, en application des
critères
retenus par le DPR 175/88.
Au
cours de son
cycle de fabrication l'usine a libéré de grandes
quantités de gaz inflammable
ainsi que d’autres substances nocives dont de l'anhydride
d'arsenic.
D’ailleurs, en 1976, à la suite de l'explosion de
la tour de lavage des gaz de
synthèse d'ammoniaque, plusieurs tonnes de solution de
carbonate et de
bicarbonate de potassium, contenant de l'anhydride d'arsenic,
s’étaient
échappées rendant nécessaire
l’hospitalisation de 150 personnes en raison
d'une intoxication aiguë par l'arsenic.
En
outre, dans son
rapport du 8 décembre 1988, la commission technique
nommée par la
municipalité de Manfredonia affirmait notamment que,
à cause de la position
géographique de l'usine, les émissions de
substances dans l'atmosphère étaient
souvent canalisées vers la ville (paragraphes
14–16 ci-dessus).
L'incidence
directe
des émissions nocives sur le droit des
requérantes au respect de leur vie
privée et familiale permet de conclure à
l'applicabilité de l'article 8.
58. La
Cour estime ensuite que les requérantes ne sauraient passer
pour avoir subi de
la part de l’Italie une
« ingérence » dans
leur vie privée ou
familiale : elles se plaignent non d’un acte, mais de
l’inaction de l’Etat.
Toutefois, si l’article 8 a essentiellement pour objet de
prémunir l’individu
contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il
ne se contente pas
d’astreindre l’Etat à
s’abstenir de pareilles ingérences : à
cet engagement
plutôt négatif peuvent s’ajouter des
obligations positives inhérentes à un respect
effectif de la vie privée ou familiale (arrêt
Airey c. Irlande du
9 octobre 1979, série A n° 32,
p. 17, § 32).
En
l'occurrence, il
suffit de rechercher si les autorités nationales ont pris
les mesures
nécessaires pour assurer la protection effective du droit
des intéressées au
respect de leur vie privée et familiale garanti par
l'article 8 (arrêt Lόpez
Ostra c. Espagne du 9 décembre 1994, série A
n° 303-C, p. 55, § 55).
59. Le
14 septembre 1993, conformément à l'article 19 du
DPR 175/88, les
ministères de l'Environnement et de la Santé
adoptèrent conjointement des
conclusions sur le rapport de sécurité
présenté par l'usine en
juillet 1989. Celles-ci prescrivaient des
améliorations à apporter aux
installations, à la fois pour la production en cours de
fertilisants et en cas
de reprise de la production de caprolactame. Elles donnaient au
préfet des
indications concernant le plan d'urgence – qu’il
avait préparé en 1992 – et les
mesures d'information de la population prescrites par
l'article 17 dudit
DPR.
Toutefois,
dans un
courrier du 7 décembre 1995 à la
Commission européenne des Droits de
l'Homme, le maire de Monte Sant'Angelo affirma qu'à cette
dernière date,
l'instruction en vue des conclusions prévues par
l'article 19 se poursuivait,
et qu'aucun document concernant ces conclusions ne lui était
parvenu. Il
précisait que la municipalité attendait toujours
de recevoir des directives du
service de la protection civile afin d'arrêter les mesures de
sécurité à
prendre et les règles à suivre en cas d'accident
et à communiquer à la
population, et que les mesures visant l'information de la population
seraient
prises immédiatement après les conclusions de
l'instruction, dans l'hypothèse
d'un redémarrage de la production de l'usine (paragraphe 27
ci-dessus).
60. La
Cour rappelle que des atteintes graves à l'environnement
peuvent toucher le
bien-être des personnes et les priver de la jouissance de
leur domicile de
manière à nuire à leur vie
privée et familiale (voir, mutatis
mutandis, l'arrêt López Ostra
précité, p. 54, § 51). En
l'espèce, les requérantes sont
restées, jusqu’à
l’arrêt de la production de
fertilisants en 1994, dans l’attente d'informations
essentielles qui leur
auraient permis d'évaluer les risques pouvant
résulter pour elles et leurs
proches du fait de continuer à résider sur le
territoire de Manfredonia, une
commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans
l'enceinte de l'usine.
La
Cour constate
donc que l’Etat défendeur a failli à
son obligation de garantir le droit des
requérantes au respect de leur vie privée et
familiale, au mépris de l’article
8 de la Convention.
Par
conséquent, il y
a eu violation de cette disposition.
IV. Sur la violation allÉguÉe de l’article 2 de la
convention
61. Evoquant
le décès
d'ouvriers de l'usine, dû au cancer, les
requérantes affirment que le défaut
des informations litigieuses a méconnu leur droit
à la vie garanti par
l’article 2 de la Convention, ainsi
libellé :
« 1. Le droit de toute personne
à la vie est
protégé par la loi. La mort ne peut
être infligée à quiconque
intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence
capitale prononcée par un
tribunal au cas où le délit est puni de cette
peine par la loi.
2. La mort n'est
pas considérée comme infligée
en violation de cet article dans les cas où elle
résulterait d'un recours à la
force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la
défense de toute personne
contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une
arrestation régulière ou
pour empêcher l'évasion d'une personne
régulièrement détenue ;
c) pour réprimer,
conformément à la loi, une
émeute ou une insurrection. »
62. Eu
égard à la conclusion relative à la
violation de l'article 8, la Cour n'estime
pas nécessaire d'examiner l'affaire aussi sous l'angle de
l'article 2.
V. SUR
L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA
CONVENTION
63. Aux
termes de l'article 50 de
la Convention,
« Si
la
décision de la Cour déclare qu'une
décision prise ou une mesure ordonnée par
une autorité judiciaire ou toute autre autorité
d'une Partie Contractante se
trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des
obligations
découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de
ladite Partie ne
permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette
décision ou de
cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu,
à la partie lésée
une satisfaction équitable. »
A.
Préjudice
64. Les
intéressées sollicitent la réparation
d’un dommage
« biologique » ; elles
réclament 20 000 000 000 lires italiennes
(ITL).
65. D'après
le Gouvernement, les requérantes n'ont pas
démontré avoir subi un dommage et ne
l'ont même pas évoqué dans le
détail. Pour le cas où la Cour retiendrait
l'existence d'un préjudice moral, le constat de violation
fournirait, le cas
échéant, une satisfaction équitable
suffisante.
66. Le
délégué de la Commission invite la
Cour à accorder aux intéressées une
compensation
adéquate et proportionnée au préjudice
considérable dont elles ont pâti. Il
suggère la somme de 100 000 000 ITL pour chaque
requérante.
67. La
Cour considère que les intéressées
n’ont pas démontré
l’existence d’un dommage
matériel résultant du manque
d’information dont elles se plaignent. Pour le
reste, elle estime que les requérantes ont souffert un tort
moral certain et
décide de leur allouer la somme de 10 000 000 ITL
à chacune.
B.
Frais et dépens
68. Les
intéressées ont obtenu l'assistance judiciaire
devant la Cour pour un montant
de 16 304 francs français, mais à l'issue de
l'audience, leur conseil a déposé
au greffe une demande tendant à l'octroi d'une somme plus
importante au titre
de ses honoraires.
69. Ni
le Gouvernement ni le
délégué de la Commission ne se
prononcent à ce sujet.
70. Compte
tenu du montant déjà
accordé au titre de l’assistance judiciaire et du
dépôt tardif de la demande en
question (articles 39 § 1 et
52 § 1 du règlement B de la
Cour),
la Cour décide d'écarter celle-ci.
C. Autres
prétentions
71. Les
intéressées prient enfin la Cour
d’obliger l'Etat défendeur à
procéder à
l'assainissement de toute la zone industrielle en question et
à réaliser une
étude épidémiologique sur le
territoire et les populations concernées ainsi
qu’une enquête destinée à
mettre en évidence les éventuelles
conséquences
graves pour les habitants les plus exposés aux substances
présumées
cancérigènes.
72. Le
Gouvernement trouve ces prétentions inadmissibles.
73. Selon
le délégué de la Commission, la
réalisation d'une enquête approfondie et
efficace par les autorités nationales ainsi que la
publication et la
communication aux requérantes d'un rapport complet et
précis sur tous les
aspects pertinents de l'activité de l'usine pendant la
période litigieuse, y
compris les dommages effectivement causés à
l'environnement et à la santé des
personnes, seraient de nature à satisfaire, en plus du
versement d'une
satisfaction équitable, à l'obligation
prévue à l'article 53 de la Convention.
74. La
Cour relève que celle-ci
ne l'habilite pas à accueillir pareille requête.
Elle rappelle qu'il appartient
à l'Etat de choisir les moyens à utiliser dans
son ordre juridique pour se
conformer aux dispositions de la Convention ou redresser une situation
ayant
entraîné une violation (voir, mutatis
mutandis, les arrêts Zanghì c. Italie du
19 février 1991, série A
n° 194-C, p. 48, § 26, Demicoli c. Malte du
27 août 1991, série A
n° 210, p. 19, § 45, et Yağcı et
Sargın c. Turquie du 8 juin
1995, série A n° 319-A, p. 24,
§ 81).
D.
Intérêts moratoires
75. Selon
les informations dont dispose la Cour, le taux légal
applicable en Italie à la
date d'adoption du présent arrêt est de 5 % l'an.
PaR CES MOTIFS, LA COUR
1.
Rejette, par dix-neuf voix contre une,
l'exception
préliminaire du Gouvernement ;
2.
Dit, par dix-huit voix contre deux,
que l'article 10
de la Convention ne s’applique pas en l'espèce ;
3.
Dit, à
l'unanimité, que l'article 8 de la Convention
s'applique et a été violé ;
4.
Dit, à
l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner
l'affaire aussi sur le terrain de l'article 2 de la Convention ;
5.
Dit, à
l'unanimité,
a)
que l’Etat
défendeur doit verser, dans les trois mois, 10 000 000 (dix
millions) lires
italiennes à chaque requérante pour le dommage
moral subi ;
b)
que ce
montant est à majorer d'un intérêt
simple de 5 % l'an à compter de l'expiration
dudit délai et jusqu'au versement ;
6. Rejette,
à l'unanimité, la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait
en français
et en anglais, puis prononcé en audience publique
au Palais des Droits de
l'Homme, à Strasbourg, le 19 février 1998.
Signé : Rudolf
Bernhardt
Président
Signé :
Herbert
Petzold
Greffier
Au
présent arrêt se trouve joint,
conformément aux
articles 51 § 2 de la Convention et 55 § 2 du
règlement B, l'exposé des
opinions séparées suivantes :
– opinion
concordante de M. Walsh ;
– opinion
concordante de Mme Palm, à laquelle
se rallient MM. Bernhardt,
Russo, Macdonald, Makarczyk et van Dijk ;
– opinion
concordante de M. Jambrek ;
– opinion
partiellement concordante et partiellement dissidente de M. Thór Vilhjálmsson ;
– opinion
partiellement dissidente et partiellement concordante de
M. Mifsud
Bonnici.
Paraphé : R. B.
Paraphé : H. P.
OPINION
CONCORDANTE DE M. LE JUGE WALSH
(Traduction)
Il
faut se souvenir
que, souvent, une méconnaissance de la Convention peut
mettre en jeu d’autres
articles que celui dont le requérant invoque la violation,
mais je suis tout à
fait d’accord qu’au vu des faits de la cause il est
plus judicieux d’invoquer
l’article 8 que l’article 10. La
Convention et ses dispositions
doivent s’interpréter de manière
harmonieuse. Or, dans son arrêt, la Cour a
brièvement évoqué
l’article 2, mais ne s’est pas
prononcée à ce sujet,
alors qu’à mon sens il y a eu également
infraction à l’article 2.
Selon
moi,
l’article 2 garantit aussi la protection de
l’intégrité physique des
requérants. De même, les dispositions de
l’article 3 indiquent clairement
que la Convention s’étend à cette
protection-là. J’estime qu’il y a eu en
l’espèce violation de
l’article 2 et que, vu les circonstances, il ne
s’impose pas d’aller au-delà de cette
disposition pour constater une violation.
OPINION
CONCORDANTE DE Mme LE JUGE PALM,
À LAQUELLE SE RALLIENT MM. LES JUGES BERNHARDT,
RUSSO,
MACDONALD, MAKARCZYK ET VAN DIJK
(Traduction)
Avec
la majorité,
j’ai conclu que l’article 10 n’est pas
applicable en l’espèce. Ce faisant, j’ai
fortement insisté sur la situation concrète qui
était en cause, sans exclure
pour autant que, dans des circonstances différentes,
l’Etat pourrait avoir
l’obligation positive de fournir au public les informations
en sa possession et
de diffuser celles qui, par nature, ne pourraient pas autrement venir
à la
connaissance du grand public. Ce point de vue n’est pas
incompatible avec la
teneur du paragraphe 53 de l’arrêt.
OPINION
concordante
DE M. LE JUGE JAMBREK
(Traduction)
Dans
leur mémoire,
les requérantes se sont aussi plaintes
expressément d'une violation de
l'article 2 de la Convention. La Cour a estimé qu'il n'y
avait pas lieu
d'examiner l'affaire sous l'angle de cet article puisqu'elle avait
conclu à la
violation de l'article 8. Je souhaite néanmoins formuler
quelques remarques
quant à l'éventuelle applicabilité de
l'article 2 en l'espèce.
Cet
article dispose
: « Le droit de toute personne à la vie
est protégé par la loi. La mort ne
peut être infligée à quiconque
intentionnellement, sauf (…) ». A mon
avis,
la protection de la santé et de
l'intégrité physique est liée tout
aussi
étroitement au « droit à la
vie » qu'au « respect de la vie
privée et familiale ». On pourrait faire
un parallèle avec la
jurisprudence de la Cour relative à l'article 3 en ce qui
concerne l'existence
de « conséquences
prévisibles » : lorsque, mutatis
mutandis, il existe des motifs sérieux de croire
que la
personne concernée court un risque réel de se
trouver dans des circonstances
mettant en danger sa santé et son
intégrité physique et, partant, son droit
à
la vie, qui est protégé par la loi. Lorsqu'un
gouvernement s'abstient de
communiquer des informations au sujet de situations dont on peut
prévoir, en
s'appuyant sur des motifs sérieux, qu'elles
présentent un danger réel pour la
santé et l'intégrité physiques des
personnes, alors une telle situation
pourrait aussi relever de la protection de l'article 2, selon lequel
« La
mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement ».
Il
se pourrait donc
que le moment soit venu pour la jurisprudence de la Cour
consacrée à l'article
2 (droit à la vie) d'évoluer, de
développer les droits qui en découlent par
implication, de définir les situations entraînant
un risque réel et grave pour
la vie ou les différents aspects du droit à la
vie. L'article 2 semble
pertinent et applicable en l'espèce, dans la mesure
où 150 personnes ont été
conduites à l'hôpital pour empoisonnement grave
à l'arsenic. Etant donné qu'elles
entraînaient le rejet dans l'atmosphère de
substances nocives, les activités de
l'usine constituaient donc des « risques d'accidents
majeurs dangereux
pour l'environnement ».
En
ce qui concerne
l'article 10, j'estime qu'il pourrait être
considéré comme applicable en
l'espèce sous réserve d'une condition
précise. Cet article prévoit que
« Toute personne a droit à (…)
recevoir (…) des informations ou des idées
sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités
publiques (…). L'exercice de
[ce droit] peut être soumis à certaines
(…) restrictions (…) ». A mon
avis, le libellé de l'article 10, et le sens s'attachant
couramment aux mots
utilisés, ne permettent pas de déduire qu'un Etat
se trouve dans l'obligation
positive de fournir des informations, sauf lorsqu'une personne
demande/exige
d'elle-même des informations dont le gouvernement dispose
à l'époque
considérée.
C'est
pourquoi
j'estime qu'il faut considérer qu'une telle obligation
positive dépend de la
condition suivante : les victimes potentielles du risque industriel
doivent
avoir demandé que certaines informations, preuves, essais,
etc., soient rendus
publics et leur soient communiqués par un service
gouvernemental donné. Si le
gouvernement ne satisfait pas à une telle demande et
n'explique pas son absence
de réponse de façon valable, alors celle-ci doit
être considérée comme une
ingérence de sa part, interdite par l'article 10 de la
Convention.
OPINION
PARTIELLEMENT CONCORDANTE
ET PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(Traduction)
En
cette affaire,
je souscris en principe à la conclusion et aux arguments
exprimés par la
majorité de la Commission. La Cour, pour sa part, est d'un
autre avis. Alors
même que j'aurais préféré
que l'affaire soit traitée sous l'angle de l'article
10 de la Convention, il était aussi possible d'examiner les
questions soulevées
en l'espèce sur le terrain de l'article 8, comme la Cour l'a
fait. C'est
pourquoi j'ai voté avec la majorité en ce qui
concerne cet article, ainsi que
les articles 2 et 50 de la Convention.
opinion
partiellement dissidente
et partiellement CONCORDANTE
de M. le Juge Mifsud Bonnici
(Traduction)
1. Au
paragraphe 49 de l'arrêt, la Cour rejette l'exception
préliminaire du
Gouvernement selon laquelle les requérantes n'auraient pas
épuisé les voies de
recours internes dont elles disposaient, comme l'article 26 de la
Convention le
leur imposait.
2. Le
second alinéa dudit paragraphe comporte le passage suivant :
« En
l’occurrence, il s'agissait en réalité
de l'absence d’informations sur les risques
encourus et les mesures à prendre en cas
d’accident, alors que le recours en
référé aurait vraisemblablement abouti
à la
suspension de l’activité de l’usine »
(italique ajouté).
3. Etant
donné que l'utilisation de ce recours interne aurait
probablement entraîné la
suspension de l'activité de l'usine, je ne vois pas quel
recours aurait pu être
plus efficace pour redresser les violations
dénoncées par les requérantes, dans
la mesure où l'absence d'informations de la part des
autorités aurait conduit à
la suspension des activités de l'usine. A l'occasion du
procès, toutes les
informations nécessaires auraient dû
être communiquées pendant l'audience, ce
qui aurait naturellement permis de redresser les violations de
l'article 8.
4. Pour
ce qui est de l'action pénale, un succès dans ce
domaine aurait rendu possible
l'ouverture d'une action en réparation, comme l'ordre
juridique italien permet
de le faire à toute personne victime d'une infraction (delitto), quelle qu'en soit la forme.
5. Il
est donc clair que, non seulement l'ordre juridique italien mettait un
certain
nombre d'actions en justice à la disposition des
requérantes, mais aussi que
celles-ci ne s'en sont malheureusement pas prévalues.
Partant, j'estime qu'il
aurait fallu accueillir l'exception préliminaire du
Gouvernement.
6. La
grande majorité de mes collègues en ayant
jugé autrement, je n'avais pas
d'autre solution que de me rallier à leur avis en ce qui
concerne les autres
points du dispositif.
[1]. Rédigé
par le greffe, il ne lie pas
la Cour.
[2]. L'affaire
porte le n° 116/1996/735/932.
Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année
d'introduction,
les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis
l'origine et sur celle des requêtes initiales (à
la Commission)
correspondantes.
[3]. Le
règlement B, entré en vigueur le
2 octobre 1994, s'applique à toutes
les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.
[4]. Note du greffier : pour des raisons d'ordre
pratique il n'y figurera que dans l'édition
imprimée (Recueil des
arrêts et décisions
1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.